Critique de Sidooh Deux garçons en enfer

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Avec Sidooh, Panini manga propose une nouvelle série historique par l’auteur de NeuN. Deux orphelins tentent de survivre alors que le Japon subit une crise politique et l’arrivée d’une épidémie. Prenez votre sabre pour les accompagner dans leur sombre périple.

Dans la campagne japonaise du XIXe siècle, une mère célibataire est emportée par l’épidémie de choléra qui ravage l’archipel. Ses deux garçons – Shotaro, 14 ans et Gentaro, 10 ans – se retrouvent livrés à eux-mêmes avec pour seul héritage : le sabre de leur père samouraï et les derniers mots de leur mère : ils doivent tout faire pour devenir fort car seuls les forts survivent.

Sidooh tome 1

La période sombre de Sidooh

Avant l’Allemagne nazie de NeuN, Tsutomu Takahashi choisit un cadre historique plus ancien pour Sidooh. Le milieu du XIXe siècle est une période charnière pour le Japon. Le livre s’ouvre par le tremblement de terre dans la capitale d’Edo en 1855 provoquant des incendies dans toute la ville. Le pouvoir politique est alors fragilisé à l’intérieur mais aussi à l’extérieur car les européens font pression pour avoir librement le droit de commercer dans l’île mais aussi de coloniser. C’est rafraîchissant de voir la conquête européenne de l’Asie par les yeux des peuples menacés. Rassurez-vous, le lecteur ne connaissant rien à l’histoire du Japon ne sera pas perdu. Quelques pages historiques permettent par exemple de comprendre que le choléra a été apporté par les étrangers et nourrit la xénophobie.

La campagne est alors sillonnée de brigands isolés, alors que les villes regorgent de bordels, mais partout les sabres sortent à la moindre altercation. L’honneur, par contre, a disparu pour laisser place à la survie. Les temps sont sombres dans Sidooh et le dessin de Tsutomu Takahashi est à l’avenant. Beaucoup de scènes se passent la nuit et même en plein jour le noir est très présent. Les personnages ont des visages grimaçants par la colère ou interloqués. Takahashi sait aussi proposer de belles architectures cachant de noirs desseins.

Deux frères dans cette tourmente

Cependant, Sidooh ne se contente pas de coller à la réalité historique mais il est avant tout un récit de formation ou plutôt de déformation… Deux garçons viennent au temple espérant sauver leur mère mourante. C’est leur dernier recours après le refus du médecin. Il est trop tard et le bonze le sait. Il se laisse attendrir et part la voir. L’épidémie si contagieuse que le bonze meurt peu après. Ces pages sont touchantes dans le contexte de la covid. Le lecteur comprend donc très vite que Shotaro et Gentaro n’ont plus aucun soutien et devront oublier toute leur éducation. Il ne peuvent compter sur personne à part eux-mêmes mais restent très unis dans un objectif. Ils décident de partir chercher un maître pour devenir comme leur père, un samouraï. Le plus jeune est tiraillé par la faim et le deuil, mais l’aîné Shotaro sait le rassurer et le motiver. Dans le deuxième tome, c’est lui qui recevra les premières leçons d’escrime.

Un des frères de Sidooh

Ces enfants vont être confrontés très jeunes à un monde violent et le dessinateur n’hésite pas à le montrer : une femme dénudée est attachée. La lecture n’est donc pas conseillée aux plus jeunes. Les dialogues sont réduits au minimum car les hommes sont des brutes et les femmes des objets de plaisir. Les jeunes sont, au départ, naïfs et veulent aider une femme en détresse. Shotaro sait saisir les opportunités qui se présentent en rejoignant la bande de Kiyozo Asakura. Cependant, aucun des deux enfants ne comprend le machiavélisme qui les entoure. Personne n’agit pas pure bonté mais chaque adulte sert ses intérêts. En effet, alors que les deux garçons espèrent survivre, pour d’autres le monde va de toute manière s’effondrer et il faut juste en profiter en attendant. La religion est devenue un outil de puissance où règne la violence lors d’épreuves initiatrices tordues. L’amour devient un marché de corps. Le lecteur s’attache à cette innocence et ressent encore plus douloureusement ce qui leur arrive. D’autant plus que Tsutomu Takahashi sait alterner entre scène d’action et discussion entre les deux enfants. C’est en particulier le cas dans le deuxième tome centré sur la préparation et le combat de l’inexpérimenté Shotaro contre un jeune fidèle d’une secte.

Sidooh est une leçon de darwinisme social au milieu d’un Japon en cendres. Shotaro et Gentaro ont tout perdu sauf leur innocence mais la confrontation avec le monde sans âme des adultes va leur enlever cette dernière part d’enfance. A la place, les deux enfants vont devoir survivre et apprendront à utiliser tous les moyens pour cela. Après deux tomes si forts, le lecteur se demande avec angoisse quelles épreuves Tsutomu Takahashi va inventer pour ces enfants ?

Si vous aimez les univers de combat, nous vous conseillons notre critique d’Ayanashi ou le récit historique de La légende du héros chasseur d’aigles.