Critique de Shy, tome 8 : laisser parler le cœur

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Shy, la super-héroïne à la timidité maladive, ne cesse de gravir les échelons de la popularité depuis son arrivée chez Kana en janvier 2021. Mêlant habilement esprit shônen et inspiration comics, l’œuvre de Bukimi Miki s’inscrit résolument comme un manga à suivre. A l’image de la montée en puissance des précédents tomes, ce volume 8 refuse de faire dans la dentelle et confronte Teru et ses partenaires au combat le plus décisif et difficile qu’ils aient eu à mener.

Briser le dôme

La terrible organisation Amalarilk a mis ses menaces à exécution. Tokyo se trouve désormais enfermée sous un gigantesque dôme noir, au sein duquel la population semble petit à petit perdre son humanité.

Les héros, dans l’espoir de juguler la situation, se sont scindés en deux groupes. Tandis que Century, le héros américain, mène les forces à l’extérieur du dôme, Shy prend la tête de l’équipe qui y pénètre, grâce à l’aide d’Ai Tennôji, la jeune shinobi. Malheureusement, leurs adversaires semblent eux aussi être passés à la vitesse supérieure et le groupe se retrouve vite séparé. Pire encore, Abysse, après avoir absorbé sa sœur Ai, dévoile une puissance monstrueuse ! Shy, accompagnée de la lame Cœur Pur, devra se dépasser pour espérer la vaincre !

Shy, tome 8 : l’urgence du combat, la Voie du sabre

Si certains doutaient encore de la capacité de Bukimi Miki à livrer un récit puissant et profond, ce volume 8 devrait lever toute ambiguïté. En effet, tant au niveau graphique que narratif, c’est un déferlement d’action, d’une justesse impeccable et aux références multiples.

Ainsi, dans la première partie, nous avons l’impression d’être plongés au cœur de l’un des films de samouraï qui ont fait la réputation des cinéastes nippons. L’esthétisme des scènes de dialogue tout comme des combats est quasi hypnotique. Comme dans tout shônen qui se respecte, Shy devra puiser en elle la force de comprendre son adversaire pour la vaincre. Elle pourra pour cela compter sur Cœur pur, le katana d’Ai. En effet, cette lame peu ordinaire en devient presque sacrée, affrontant la bien-nommée Esprit du néant, arme de Mai alias Abysse. Voilà pour une première symbolique, qui pourtant n’a rien de manichéen.

Car si leur nom semble refléter l’usage qui en est fait, ces katanas sont en réalité directement reliés au cœur de la personne qui les manie. Tout au long de ce combat intense, Bukimi Miki distille des références discrètes qui sauront parler aux amateurs d’arts martiaux, et qui s’incarnent dans des titres de chapitres évocateurs. « L’état de non-soi » fait alors directement écho au « munen muso » de Miyamoto Musashi et à « l’esprit indomptable » de Takuan Soho, tout comme aux préceptes ancestraux du bouddhisme. L’auteur inscrit donc son héroïne dans la droite lignée des plus grands samouraï. Et la jeune Shy aura bien besoin de cet esprit combatif, tout à la fois déterminé et ouvert au monde, pour affronter son adversaire dans les eaux du Styx.

Shy : fondu au noir et éclat de lumière

Alors que le combat de Shy contre Abysse nous éblouit par sa virtuosité graphique et sa puissance évocatrice, Bukimi Miki brise brusquement le temps de l’action pour nous plonger dans les souvenirs de la shinobi déchue. En effet, renforçant la compassion totale envers les autres, la jeune héroïne parvient à littéralement entrer dans le cœur de celle-ci.

C’est l’occasion de se pencher sur le passé des deux sœurs shinobi, mais cette fois du point de vue de Mai. Et ce contrepoint est saisissant de délicatesse tout comme de brutalité. Ainsi, nous découvrons tout le point de la tradition que Mai a porté sur ses épaules. Ses talents innés pour le ninjutsu ont conduit ses supérieurs à lui confier des missions toutes plus sanglantes les unes que les autres. Le zèle de ces mêmes supérieurs conduira Mai à voir se confronter en son cœur sa personnalité profonde et les charges qui lui incombent, la poussant peu à peu à la folie. De sa fuite du village de Sôga jusqu’au combat au plus haut d’une tour de la capitale nippone, tout son parcours reflète cette réalité inextricable et destructrice, à l’origine d’un Surmoi tyrannique qui poussera Mai à devenir Abysse.

Pourtant, grâce à sa rencontre avec Shy, la jeune shinobi développera une meilleure conscience d’elle-même. Malgré les crimes dont elle s’accuse, elle réalisera que la rédemption est possible et qu’elle est étrangement proche du renoncement.

Bukimi Miki utilise donc sa puissance narrative pour transformer un poncif du style shônen (le méchant devient gentil après un examen de conscience) et le tirer vers le haut. Une nouvelle fissure apparaît alors dans la toile qui enfermait les membres d’Amalarilk. Sera-t-elle suffisante pour faire échouer leur plan ? Rien n’est moins sûr, puisque Foufou, Furax et la prêtresse Angèle ne comptent pas laisser les héros s’en tirer à si bon compte. Le mangaka ajoute toujours plus de profondeur à ses antagonistes, à travers un monologue tout en rage du garçon-dragon mais aussi via de discrètes mais vivantes expressions faciales. Plus qu’un combat entre héros et méchants, entre lumière et ombre, ce sont deux visions du monde qui s’entrechoquent, chacune montrant à l’autre ses défauts. Le désespoir conduira-t-il à une remise en question ? Si la seule victoire juste est celle qui ne fait pas de vaincu, quels ressorts nécessite-t-elle ? La réponse dans le prochain volume, en librairie le 27 mai !

En conclusion, ce huitième tome de la série Shy poursuit et approfondit la bascule narrative opérée dans l’opus précédent. A l’image des couvertures, le récit devient plus sombre, et ses enjeux deviennent plus graves. Mêlant adroitement références cinématographiques, littéraires et esthétiques, Bukimi Miki nous coupe encore une fois le souffle par son talent.