Critique de Lupin The Third anthology (chez kana) : un essai réussi

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Du Japon à la France, la série Lupin III connut un étonnant destin éditorial. Oeuvre culte au Japon, elle s’est déclinée depuis le milieu des années 60 en manga (14 volumes pour la série originale de Monkey Punch, plusieurs dizaines d’autres sous la plume d’auteurs différents), en téléfilms, en séries et en longs métrages dont le dernier est sorti en 2019. En France, elle se heurte à un problème inattendu. N’ayant pas l’accord des héritiers de Maurice Leblanc, l’oeuvre doit être rebaptisée.

Le héros se nomme successivement Vidocq, Edgar, Rupan, Wolf. Avant de retrouver son patronyme original dans les années 1990 quand le nom est tombé dans le domaine public. De quoi entraîner une certaine confusion chez le public. Celui-ci va découvrir cette saga par le biais du petit et du grand écran : une série d’animation diffusée à partir de 1985, un long métrage, Le Château de Cagliostro réalisé par l’immense Hayao Miyazaki et disponible à l’époque uniquement en cassette vidéo. Mais la version papier reste confidentielle. Or, avec la sortie récente du dernier long métrage et la production d’une nouvelle série, les éditions Kana ont décidé de combler ce vide éditorial avec la publication de Lupin The Third Anthology. Sous la forme d’un élégant recueil de presque 300 pages, les lecteurs pourront découvrir une dizaine d’histoires originales d’une trentaine de pages chacune. Sans liens entre eux, ces courts récits proposent de naviguer au sein d’une univers riche.

Lupin The Third Anthology : au coeurs des 60’-70’

Les lecteurs doivent être prévenus. Il s’agit de la réédition des planches originelles et non des récits contemporains. Ceci pourra surprendre au début de la lecture car les histoires sont délicieusement vintage. Ceci se retrouve dans les influences. Il est évident que Monkey Punch a été marqué par le cinéma de son époque, hollywoodien pour commencer. Au gré des récits, vous retrouverez avec délice les clins d’oeil appuyés à la saga des James Bond (Le Lupin qui m’aimait), au cinéma de Sergio Léone, au film Le Mans avec Steve Mc queen ou à la panthère rose avec Peter Sellers. Le cinéma nippon n’est pas en reste avec les emprunts au chambara ou par l’intégration d’une dose d’érotisme.

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Le contexte de création de l’oeuvre agit aussi sur les thématiques abordées. Deux sont particulièrement perceptibles : la place des femmes et la révolution sexuelle. A travers le personnages de Fujiko, Monkey Punch construit une femme forte, féminine, égale en de nombreux points à Lupin. Love interest, rivale et partenaire, c’est une figure étonnamment moderne. A travers elle et de nombreuses autres personnes, l’auteur distille en plus une sévère critique de la société : violence sur les femmes, harcèlement. La révolution sexuelle irrigue aussi plusieurs histoires. Sous la plume du mangaka, les corps féminins et masculins se révèlent dans un tourbillon de sensualité.

Lupin : entre rires et sérieux

L’un des belles surprises de cette anthologie réside dans la découverte des divers tons des histoires écrites par Monkey Punch. En effet, comme dans la série animée, l’humour domine par l’entremise de l’inspecteur Zénigata, des plans abracadabrants de Lupin (voir la 1ère histoire) ou les chamailleries entre les membres de son équipe. Plusieurs récits fonctionnent soit comme de petits contes (la berceuse de Lupin), soit comme des aventures quasi visuelles (le fabuleux trésor). Le tout culmine lors dans l’histoire Combat à mort Fujiko et un petit Lupin. Le lecteur découvre un face à face hilarant sur fond de maternité refoulée et d’allusions sexuelles osées.

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Pourtant à côté de cette légèreté, les histoires regroupées n’hésitent pas à représenter, à suggérer avec force les violences dont sont victimes les femmes. Lupin III propose des discours forts à contre-courant de son époque. Son auteur aime aussi mettre en scène les passions dévorantes, la mort (Western Jingen). Voire des adversaires vraiment inquiétants et malaisants (Le magicien). Des ruptures de ton novatrices qui vont influencer de nombreuses autres œuvres (City Hunter par exemple).

Lupin The Third Anthology : un style unique au service d’une narration maîtrisée

Le style de Monkey Punch est reconnaissable entre tous. Loin de la ligne claire chère à Hergé notamment, il s’appuie sur un tryptique associant des lignes flirtant avec l’esquisse, des coloriages proches de l’aquarelle et un découpage alternant la simplicité et la complexité. Le but est de conférer un rythme, une dynamique à chaque histoire tout en associant l’ambiance graphique à la thématique abordée. Ainsi, le lecteur passera d’histoire au dessin proche du comic strip où les dialogues sont minimes (Le fabuleux trésor) à des ambiances beaucoup plus travaillées (Lupin entre en scène) proches de l’atmosphère des romans d’Agatha Christie.

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Chaque histoire courte nous surprend enfin par la virtuosité narrative de Monkey Punch. Il démontre son art d’aller droit au but sans pour autant sacrifier ses personnages et sa créativité. On est même surpris du nombre d’idées qui ont inspiré par la suite de nombreuses œuvres. Le cambrioleur qui se laisse enfermer, le faux mur, les identités multiples ; ou l’héroïne glissant du mur où elle est accrochée en perdant ses vêtements. Une très longue postérité qui rend encore plus nécessaire la lecture de cette œuvre.

C’est indéniablement une très bonne idée qu’ont eu les éditions Kana en proposant au public français de découvrir l’oeuvre originale de Monkey Punch. On ne peut que saluer l’intelligence qui a accompagné le choix des œuvres ici représentées. On ne peut qu’admirer la qualité matérielle de cette anthologie. Souhaitons que cette initiative rencontre son public afin de permettre à Kana de poursuivre la publication d’une saga culte.