Critique « Cette nuit » de Joachim Schnerf : la pépite de ce début d’année

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Petite pépite publiée en ce début d’année, le 04 janvier dernier, aux éditions Zulma, Cette nuit de Joachim Schnerf résume de manière touchante et humoristique parfois, les nombreuses traditions et célébrations des fêtes juives de Pessah.

Joachim Schnerf-Cette nuit

Vous ne connaissiez pas Joachim Schnerf? Il est né en 1987 à Strasbourg et vit actuellement à Paris où il est éditeur de littérature étrangère. Après Mon sang à l’étude, son premier roman paru aux Éditions de l’Olivier, il nous plonge (grâce aux éditions Zulma), avec Cette nuit, dans l’intimité d’une famille, tendue sur le fil de la mémoire d’un homme au soir de sa vie. Un roman d’une grande sensibilité.

Cette nuit de Pessah

Le roman s’ouvre le matin du premier jour de Pessah, la Pâque juive. Cette année, pour la première fois, Salomon, le héros de ce roman, devra célébrer Pessah en famille sans sa moitié. En effet, sa femme, sa « douce et merveilleuse » Sarah, est décédée deux mois auparavant.

cette nuit e1521316486445 Critique "Cette nuit" de Joachim Schnerf : la pépite de ce début d'annéeA la brutalité du deuil s’ajoutent les différentes angoisses d’accueillir ses deux filles, deux soeurs qui ne se supportent pas et qui ne cessent, l’une, Michelle, de mépriser son aînée, l’autre, Denise, de craindre sa cadette. Il y aura aussi ses gendres, et petits-enfants, puisque c’est lors du Seder que Salomon va faire revivre aux enfants la liberté soudaine du peuple juif après les années d’esclavage. C’est lui qui doit transmettre, une fois de plus, le témoignage de la sortie d’Egypte du peuple juif, à travers de nombreux rituels dont les traditionnelles questions des enfants.

Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits?

A cette perspective, il se remémore de façon un peu poétique, les soirées des années précédentes avec Sarah et anticipe ainsi ce qu’il ne manquera pas de se produire. Ce qu’il faut savoir, c’est que Salomon, le héros de ce roman, est un rescapé de la Shoah. Un des nombreux qu’Auschwitz a rendu orphelin, mais contrairement à beaucoup, il a besoin d’humour pour extérioriser les démons qui le hantent depuis sa détention en camp de concentration. L’humour concentrationnaire pour débloquer le traumatisme de l’horreur.  Ses blagues ne sont pas toujours accueillies comme elles le devraient mais il s’agit d’un sujet qu’il lui est impossible d’aborder avec sérieux. Il n’a jamais parlé de tout ce qu’il a vécu. Sauf Cette nuit.

 “Accepterais-tu d’en parler ?” Sarah avait hésité plusieurs semaines avant de m’interroger, elle avait finalement choisi un pronom pudique plutôt que d’articuler Auschwitz. J’en parlais tout le temps, oui, mais raconter ? Impossible, je n’avais que mes blagues pour évoquer la Shoah.

Rédigé avec intelligence et subtilité, ce petit roman de 146 pages est une rencontre aussi intéressante qu’émouvante avec la culture juive. Derrière un humour noir, Salomon cache cette profonde blessure de survivant de la Shoah qui doit maintenant faire face à cette douleur nouvelle : la solitude et le manque cruel de l’être aimé. 

 » Je m’appuie sur le meuble pour reprendre mon souffle et sens sa main se poser sur la mienne. La main de Sarah m’obsède, nos mains qui ne se quittaient jamais. Nos mains qui mangeaient, nos mains qui s’endormaient. Ces paumes qu’il nous était impossible de décoller, bâties l’une pour l’autre. Comme une roche épouse l’eau qui la lèche chaque jour. »

 

 

 

 

 

Nous ne pouvons que vous recommander chaleureusement la lecture de Cette nuit, d’une part parce qu’il retrace à la perfection la théâtralisation de certaines coutumes juives, mais aussi parce qu’il nous invite à réfléchir, de façon bouleversante, à la transmission des silences familiaux, et à la difficulté de continuer à vivre après la perte de l’être aimé.