Maze of Sounds de Janko Nilovic : un succès inattendu ?

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50 ans après Psyc Impressions. 30 albums plus tard. A l’âge de 80 ans, Janko Nilovic n’en finissait plus de surprendre en sortant Maze of Sounds – 2020, dernier album du grand manitou du rare groove et de la musique illustrative, enregistré avec The Soul Surfers. C’est signé BROC RECORDZ – 2020. 

Un album de raison, saupoudré de passion

Que se passe-t-il dans l’esprit d’un artiste accompli, à la carrière ultra-prolifique – samplé par J-Zay, Dr Dre et bien d’autres pointures du Rap U.S. – lorsqu’on vient le voir à 79 ans pour démarrer un nouvel album ?

Janko lui, tant que c’est de la musique, c’est « oui ». Cependant, si l’on retrouve le registre musical du compositeur dans les 8 titres qui le composent, l’album s’excentre sensiblement des standards habituels du natif d’Istanbul.

Parce qu’un album entier en featuring (The Soul Surfers) nécessite tout d’abord un consensus artistique et technique. Issu de la branche du Jazz des 70’ où il enregistre les mythiques albums Psyc Impressions / Giant / Funky Tramway / Rythmes Contemporains / Soul Impressions / Super America, etc… Janko maitrise la complexité des harmonies qui réfutent la structure classique de la POP de ses années.

Chef d’orchestre par intermittence, amoureux des arrangements à géométrie variable, aux sections cuivrées, boisées et frottées, c’est un véritable challenge pour l’artiste Balkan de fabriquer un « piano bass / batterie / guitare » simple et accrocheur.

Qu’importe, Janko réussit à concilier un peu tout le monde et sort l’album le plus commercial de son immense carrière. C’est signé BROC RECORZ – 2020. Et on voyage.

Le succès, paradoxe presque inévitable

Grooves lents, structure lancinante et simplification maximale du rôle de l’assise rythmique, l’objectif est clair : l’ambiance. Celle des années 70’. Son romantisme insouciant et l’ivresse de ses plaisirs d’époque. C’est assurément un des moteurs de l’album.

Si on ne retrouve pas la richesse harmonique et technique des œuvres titanesques qu’on été des albums tels que Rythmes Contemporains (1974) et Funky Tramway (1975), Janko s’adonne à un exercice d’épuration différent et frais. Les progressions sont simples et efficaces. On notera en revanche que l’album est ponctué de quelques « modes » chers au cœur du compositeur, tels que l’utilisation de la pentatonique mineure et de la mineure harmonique dans SWEET PATH, pour ne citer qu’un exemple. Et alors, le résultat ?

Quand on ferme les yeux : ça fonctionne. On voit des images, des visions. Les couleurs ondulent, apparaissent, dansent. Puis elles s’évaporent, se dispersent et s’envolent. On y est dans ce « labyrinthe des sons ». C’est l’expérience. Janko sait comment l’esprit humain fonctionne, se perd, se retrouve, se questionne. L’art de la musique illustrative, c’est le sien. « Je ne crois pas qu’on puisse séparer l’image du son, rappelle-t-il souvent ». C’est cela Maze of Sounds. Et le mérite de BROC RECORDZ, c’est d’avoir su remonter le temps.

Et cette sensation commence avant même d’avoir entendu la première fréquence auditive : la pochette, véritable chef-d’œuvre de dessin, pleine de sens et de poésie. Elle est signée KARAN SINGH. Et la toile regorge de reels d’artistes qui s’amusent à la décalquer. Une pochette de caractère, comme avant.

Le million, le million, le million !

Au sommet de sa gloire, les vinyles étaient rois. On allait chercher chez le marchand du coin ce qu’on avait entendu à la radio la veille. En espérant ne pas avoir oublié le titre ou l’auteur, souvent aux consonances américaines.

Aujourd’hui, place aux streams. Notion qui, de son propre aveu, échappe en grande partie à Janko. Ainsi, lorsqu’on lui annonce qu’on a dépassé le million de téléchargements, il demande : « D’accord, c’est à dire ? ».

#legendaire

À une époque où les chiffres n’ont plus aucun sens, 1 million de streams, pour ce genre artistique, cela mérite d’être souligné.

Adulé par une presse dithyrambique, largement relayé sur les réseaux sociaux (et plus récemment par la célèbre journaliste et chroniqueuse Énora Malagre sur son compte Instagram), Maze Of Sounds est quasiment une consécration. « Je n’en reviens pas, nous confiait le maestro dans une interview accordée à Just Focus en Juin 2021. Je ponds 8 titres en 2 demi-journées, et tout le monde applaudit. Je vais en sortir 10 par an des comme ça, vous allez voir ! ».

Pas très raisonnable, surtout quand on sait que l’album est très bien produit et fini. Mais on comprend l’idée, et ces galéjades prouvent surtout que l’âge n’a pas eu d’effet sur l’humour et la dérision du pianiste. Ni la mort de sa bien-aimée Johanna Nilovic (née Marie-Jeanne Mougeot) en décembre 2020. « Cela a été la pire épreuve de ma vie. Tout me ramène à elle, la musique aussi ». Elle fut l’unique femme de sa vie.

#RIP

C’est dans ce contexte difficile que Janko Nilovic sort donc un énième album, plus cérébral que du fond de ses entrailles artistiques, certes, mais qui dénote une volonté de continuer, de ne jamais céder devant l’épreuve. Chacun ses armes.

On connaît celles de Janko Nilovic.