Critique « Silence » de Martin Scorsese : une oeuvre sombre et abyssale

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Après des années de préparation, Martin Scorsese est enfin parvenu à mettre en scène un de ses films les plus ambitieux : Silence. Une œuvre profonde et emblématique centrée sur les pérégrinations religieuses de deux jésuites à la recherche de leur mentor dans un Japon hostile au christianisme. 

Les voix de Scorsese sont impénétrables

Silence, c’est le mot d’ordre et ce dès l’introduction. Après les bruits assourdissants de grillons vient le titre : SILENCE. Le bruit s’arrête brusquement et laisse place au calme. Puissant ! Scorsese ouvre ensuite son film sur le personnage de Liam Neeson, le père Ferrera qui sera, à l’image du Soldat Ryan, le personnage central de l’intrigue qu’il va falloir retrouver. Adam Driver et Andrew Garfield partent au Japon à la recherche de leur mentor qui aurait abdiqué et renié sa religion face à la pression des inquisiteurs japonais.

silenceSilence cherche à confronter la foi, la croyance en Dieu. Il met à l’épreuve l’intégrité d’une vision de la vie, d’une façon de vivre et de penser. Martin Scorsese, à la différence de son confrère Mel Gibson, tente d’être le plus objectif et neutre possible. Son film n’est pas manichéen, il n’y a pas de méchants, pas de gentils, seulement des représentants de deux croyances différentes, aussi têtus les uns que les autres. Silence est une confrontation de plus de deux heures entre deux religions, entre des hommes qui expriment mal les fondements dans lesquels ils ont posé leur foi. Le prête chrétien tente d’imposer sa religion catholique dans une nation bouddhiste. Il est prétentieux et est persuadé que sa croyance est la véracité universelle. À ce titre, il croit devoir, en toute légitimité, l’imposer au reste du monde, par des préceptes religieux et une foi censée être inébranlable. Les japonais eux, exercent une répression par la violence et la mort, massacrant les chrétiens résidant sur le sol japonais. D’un côté un religieux qui se prend pour jésus et de l’autre des japonais violents et intolérants.

Le jésuite va se retrouver prisonnier des japonais, qui vont tenter de le forcer à apostasier. La foi du personnage va être mise à l’épreuve. Il va devoir résister pour ne pas trahir son Dieu dans lequel il se remet, persuadé que ses prières seront entendues. C’est dans sa dernière heure que Silence prend toute son ampleur, lorsque le protagoniste continue de résister pour protéger sa croyance, alors que par son entêtement, de nombreux civils sont massacrés en son nom. Il se retrouve face à un choix cornélien qui va démontrer le paradoxe de sa religion : renier sa foi et sauver des fidèles, ce qui se rapporte au précepte « aide ton prochain » ou conserver sa religion envers et contre tous, protéger Dieu et la véracité de sa croyance au détriment des fidèles qui continuent de se faire massacrer sous ses yeux. Le protagoniste s’imagine être Jésus, un messie qui doit protéger son père divin malgré les violences qu’il côtoie, considérées comme la propre volonté divine. Un choix cornélien dont la solution sera tue ici.  

Un paradoxe religieux présenté en toute neutralité

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Scorsese tente d’exprimer la stupidité humaine. Il veut démontrer que l’être humain à travesti des idéaux religieux relativement similaires et développant les mêmes idées de partage, de protection et d’entraide. La confrontation de ces deux religions n’a pas lieu d’être et pourtant, leurs représentants respectifs vont s’entêter à défendre la véracité de leur croyance par rapport à l’autre, sans justification logique mais simplement par la violence et la fourberie. Une absurdité constamment mise en avant au cours du film. Le déroulement de Silence demeure parfaitement maîtrisé. Scorsese met en avant la diminution de la foi du jésuite qui doute petit à petit de la logique, de la légitimité et de l’utilité de sa foi face à tant de violence. Pour autant le cinéaste italien se perd dans son œuvre interminable. Des longueurs apparaissent, certes pour représenter le cycle sans fin et répétitif de la situation, de cette confrontation. Mais le spectateur finit par s’ennuyer devant cet enchaînement. Le réalisateur met également en avant l’absurdité de l’apostasie. Les croyants acceptent l’existence d’une force supérieure mais ne sont pas capable d’apostasier via un simple objet matérialisant cette foi, via un simple symbole religieux. Les fidèles sont capables d’imaginer les rouages complexes d’une religion, mais la réduisent à un simple objet, qu’ils ne peuvent souscrire à leur apostasie. Ne sont-ils pas capables de dépasser cette simple condition de matérialisation et ne peuvent-ils pas exercer leur foi sans ces objets matériels ? Visiblement non. On regrettera cependant la conclusion de Scorsese, trop démonstrative et en manque cruel de subtilité. L’ambiguïté est proscrite alors que le cinéaste aurait gagné à être plus silencieux, à l’image de son titre, et plus discret dans sa façon de penser. Cette fin fermée ne laisse aucune place au doute et prévôt une prise de position détestable au vu du reste de l’intrigue.

Silence est donc une œuvre à l’esthétique irréprochable, au sujet inhérent à l’être humain, aux croyances et à la religion. Scorsese parvient à contenir ses pensées dans un film relativement clair et concis malgré quelques longueurs ici et là.