Residue de Merawi Gerima : le blanc remplacement

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Récit semi-autobiographique à la résonance politique puissante, Residue se présente comme un film représentatif de la colère. Celle d’une population afro-américaine balayée par la gentrification et l’insidieuse colonisation bourgeoise blanche. Si le néocinéaste Merawi Gerima ne manque pas d’intention et de symboles, son histoire manque parfois d’impact pour saisir tous les contours d’un courroux social tristement banal et actuel.

Residue : un film âpre et éminemment politique

Jeune scénariste de retour au bercail dans un vieux quartier de Washington D.C., Jay prend conscience que les habitants sont remplacés par une population aisée et blanche. Le jeune homme se met en quête de ses anciens amis et de sa famille dans un environnement qui lui est désormais inconnu. C’est au travers des rencontres avec l’ancienne population, expropriée petit à petit, qu’il se rendra compte de l’impact de la gentrification sur sa communauté.

Ce qui frappe d’entrée dans Residue n’est pas tant sa justesse que la manière de filmer de Merawi Gerima, fils du réalisateur éthiopien Hailé Gerima (La récolte de trois mille ans, Sankofa) et dont il s’agit du premier long-métrage. Malgré un manque évident de budget, le néocinéaste affirme une patte très marquée, avec une photographie qui fait la part belle aux filtres ensoleillés et au grain de la pellicule. Une idée visuelle qui fera écho au discours latent de Residue, celui de la gentrification, soit le remplacement d’une catégorie de population par une autre plus aisée.

Un oppresseur invisible

Merawi Gerima n’a pas peur de montrer ce « blanc-remplacement » de la communauté afro-américaine, au profit de banlieues chics autour des grandes métropoles. Entièrement centré sur les populations noires, le film ne montre que très peu l’oppresseur, dont la présence permanente s’effectue au travers du hors-champ. Un choix de mise en scène que Gerima admet avoir improvisé, n’ayant pas trouvé assez d’acteurs blancs pour figurer dans Residue. Qu’à cela ne tienne, le jeune réalisateur en fait une force visuelle en se focalisant quasi exclusivement sur les populations noires.

Residue de Merawi Gerima : le blanc remplacement
(Capricci Films)

Tourné durant les étés 2017 et 2018, Residue semble presque divinatoire dans son imagerie, rappelant les mouvements américains Black Lives Matter lors de la mort de George Floyd, tué par un policier blanc en 2020. Le film a d’ailleurs reçu Le film a d’ailleurs reçu la Mention spéciale de la section indépendante Venice Days à la Mostra de Venise quelques mois après cet événement. Sa sortie pour janvier 2022 y trouve donc un écho symbolique et politique très puissant, tant le propos se veut soutenu sur la colère populaire. Que ce soit au travers des personnages, des dialogues ou mêmes des errances du protagoniste sublimées par une photographie qui tend vers l’ocre, tout semble ramener le spectateur vers un souffle de révolte et un constat d’urgence.

Une première œuvre juste mais inaboutie

Mais entre les intentions louables et le résultat, Merawi Gerima nous rappelle à son insu qu’il est encore un jeune auteur. Ainsi nous constatons l’ambition, la volonté du cinéaste afro-américain de jeter un regard noir sur la situation sociale de son pays. Encore est-il que le long-métrage, laborieusement rythmé, manque d’impact et de situations fortes pour arriver à ses fins.

Residue de Merawi Gerima : le blanc remplacement
(Capricci Films)

Tantôt parasité par des flashbacks incongrus (au profit de situations vraiment réussies, comme une bouleversante séquence en prison), le film ne montre que très peu la déflagration. Ce courroux pourtant si apparent dans la bouche des personnages n’en restera qu’à un état primaire. Condamné à n’apparaître que dans les dernières minutes d’un long-métrage à qui il manquerait LA partie manquante. Comme si le cinéaste la savait vaine, ou pire, inutile.

Reste que Residue comporte son lot d’images fortes et d’ambitions cinématographiques pour nous faire comprendre la valeur de son sujet. Merawi Gerima se pose comme un cinéaste porteur d’une esthétique forte, politique, mais sans jouer aux idéologues. Et son premier long-métrage d’être une belle parabole d’un désastre social évident et sévèrement occulté.