Interview de Mathieu Turi, réalisateur d’Hostile !

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Mathieu Turi est un jeune réalisateur français. D’origine cannoise, celui-ci sort son premier long-métrage qui mélange le film d’horreur post-apocalyptique et le drame romantique. Après être sorti un peu partout dans le monde, Hostile sortira le 26 septembre prochain après des mois d’attente et des échos positifs venant de nombreux festivals autour du monde (notamment celui de Neuchâtel). En mars dernier celui-ci nous a accordé une fascinante interview. Focus !

 Just-Focus : Pouvez-vous présenter votre parcours ?

Mathieu Turi : Je suis né à Cannes et j’y ai vécu jusqu’à mes 18 ans où j’ai fait quelques courts-métrages dans mon coin. Puis je suis monté à Paris et j’ai fait une école, l’ESRA, pour laquelle j’ai eu l’occasion de faire un court-métrage de fin d’études, en pellicule. C’était une histoire de tueurs assez étrange. À l’époque, je me disais qu’il fallait que je bouffe, et donc autant en profiter et faire quelque chose qui me rapprochera du milieu. Le premier film sur lequel j’ai bossé c’était G.I. Joe suivi d’Inglorious Basterds. Bosser sur un Tarantino, c’est tout de même assez cool. J’étais assistant-réalisateur adjoint. Donc j’étais là pour ouvrir des portes pour permettre aux gens de passer, etc. Mais cela m’a permis d’observer Tarantino, et c’est très instructif de voir des gens comme lui au travail. En parallèle des 2 courts-métrages que j’ai réalisés j’ai donc travaillé sur une vingtaine de longs-métrages, pour la plupart américain, en tant qu’assistant. Ça m’a permis de faire des films comme des films de Clint Eastwood, Woody Allen ou encore Lucy. Tu te rends compte que tout se passe très vite et que même en temps que simple assistant tu as beaucoup de choses à gérer. Par exemple, j’ai dû diriger les figurants sur le plateau. À une petite échelle, tu fais de la mise en scène. Ce qui permet d’apprendre.

Just-Focus : Depuis combien de temps travaillez-vous sur Hostile ?

Alors j’ai commencé par écrire le scénario sur les conseils de Xavier Gens que j’ai rencontré car nos mères se connaissent ! Il a tout d’abord commencé par me donner des conseils sur les courts, puis il m’a conseillé de passer au long. Il m’a donc demandé de lui pitcher mes idées, a accroché à Hostile et m’a conseillé de l’écrire. En 2012, j’ai fini la première version présentable, que j’ai retravaillée jusqu’en 2015, soit au moment où j’ai rencontré mes producteurs. Un an plus tard, on a commencé le tournage.

Hostile 2 Interview de Mathieu Turi, réalisateur d'Hostile !

D’où viens votre envie de faire ce film ?

Ça remonte depuis un bon moment. J’ai tout d’abord commencé par faire deux courts-métrages. Le premier était un court-métrage post-apo, fait pour 3.000 balles. C’était Son of Chaos que j’ai fait avec des potes. Il a connu un certain succès et m’a permis de faire un peu le tour du monde des festivals. Cela m’a ouvert pas mal de portes, mais pour pouvoir faire un long on me disait qu’il fallait que je montre que je sache diriger des comédiens. Car les personnages dans Son of Chaos ont des masques à gaz, ils utilisent des tuyaux pour bouffer… Le deuxième court-métrage, c’était sur un homme américain et une Française, ne maitrisant pas du tout la langue de l’autre, qui se retrouvent enfermés dans un ascenseur. C’était vraiment de la pure direction d’acteur. Puis enfin Hostile est un peu la rencontre entre ces deux univers. L’idée principale artistique vient de là.

Qu’elles ont été les difficultés avec ce film ?

Déjà, produire un premier film c’est compliqué. Un premier film de genre c’est encore plus compliqué. Et faire un premier film de genre tourné en Anglais, en France, c’est encore plus compliqué. Mais après, il y a eu une envie de s’accrocher jusqu’au bout. Quand j’ai rencontré mes producteurs, on était dans une période de creux entre les French Frayeurs et Grave. On s’est rendu compte que l’on avait 2 options : où on essayait de faire le film dans le système traditionnel français, ou de le faire en anglais, cela permettait aussi de le vendre dans le monde entier. Mais aujourd’hui, il faut savoir que le marché de la vidéo ne fonctionne plus, alors que pour le cinéma de genre français c’était primordial. Haute-Tensions d’Alexandre Aja a été le film français le plus vendu à l’étranger pendant des années ! Personne ne le dit car cela ferait mauvais genre dans le milieu du cinéma français. Le cinéma de genre à l’étranger se vendait beaucoup mieux que le cinéma d’auteur ! Mais avec l’effondrement de la vidéo, même si Netflix&co relèvent la barre, c’est plus compliqué de se dire que ce sera un succès à l’étranger. Ou on fait un mégacarton en français et on le vend à l’étranger, ou on le fait en anglais et on le vend partout.

Hostiles de Mathieu Turi Interview de Mathieu Turi, réalisateur d'Hostile !

Hostile est un film qui mélange deux genres. Tout d’abord, le film d’horreur post-apocalyptique mais aussi le drame romantique. Pourquoi  ce choix ? 

L’idée était de faire un film composé à moitié de flashbacks. L’idée était que cela choque et que l’on ne s’y attende pas. Les 15-20 premières minutes, elles se passent dans l’univers post-apo avant de revenir à la partie romantique. Quitte à risquer à ce que certains n’adhèrent pas au concept. Je voulais aller jusqu’au bout du concept et raconter ce que j’avais envie de raconter.

Quels sont les films ou les autres sources d’inspirations pour faire ton film ?

Alors, les sources d’inspirations principales du film ne sont pas d’autres films ! Il s’agit plutôt du livre Je suis une légende, qui est pour moi le chef-d’œuvre ultime. Et le jeu vidéo The Last of Us, qui m’a mis une de ces claques… C’est pour moi le Citizen Kane du jeu vidéo, une œuvre à part entière ! Je me suis amusé à glisser quelques clins d’œil au jeu, dont un qui est quasi-impossible à trouver, donc j’aimerais bien que quelqu’un y arrive un jour. Ce sont les inspirations directes qui sont liées à l’histoire. Pour Je suis une légende il y a déjà eu quelques adaptations mais aucune qui soit une adaptation littérale du bouquin. Pour The Last of Us, le film est dans le development hell aux États-Unis, et ont ne sait pas si cela se fera vraiment. Si ça se fait, bon courage, car il faudra assumer le jeu comme il est.

Peut-être qu’un jour ce sera vous qui réaliserez le film !

 Je suis disponible pour le faire !

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Quelques mots sur le casting ?

Pour Britanny Asthworth, on l’a choisie pour avoir quelqu’un que l’on ne connait pas vraiment et aussi pour pouvoir s’adapter au budget. C’était une connaissance de Xavier Gens qui me l’avait recommandé, et il avait raison, j’ai tout de suite vu le personnage qui est en elle. Grégory Fitoussi vient plus de la production. Personnellement, je le connaissais pour l’avoir vu dans World War Z. Il a d’ailleurs joué dans le premier film pour lequel j’ai travaillé ; GI. Joe ! C’était la production qui le connaissait très bien et qui me l’a recommandé. Quant à Javier Botet, j’avais écrit le scénario mais je ne connaissais personne, à part Gens. Je sortais alors de Mama, dans lequel il jouait le monstre. En sortant du film, je me disais que je voulais faire un film où on verrait tout à l’image, en tout cas pour la créature. Le travail de Javier sur le corps était assez intéressant à mes yeux et je voulais utiliser ça. Je lui ai donc écrit pour lui proposer le rôle, en précisant que j’étais un jeune réalisateur qui faisait son premier long, et que j’avais vraiment envie qu’il joue le rôle. Il m’a demandé de lui envoyer le scénario, et il m’a dis alors que peu importe le temps que ça prendrait, il jouerait dans le film, peu importe ce qu’il se passe ! Ça a été compliqué car il enchaîné Insidious 2, Ça et allait partir tourner Alien Covenant ! Pourtant, il a pris le temps de venir au Maroc faire le film puis repartir. Il a tenu sa parole jusqu’au bout !

Hostile était votre premier long-métrage. Qu’avez-vous retenu de cette expérience et qu’est-ce que vous éviterez de reproduire à l’avenir ? 

C’est une bonne question. On a eu plein de moments de doute. Par exemple, lors d’une journée où on ne tournait pas, il y a eu une tempête qui a complètement dévasté le décor et tout le monde a dû mettre la main à la pâte afin de tout reconstruire. Mais tu ne peux pas retenir des choses de cette expérience. Après, j’ai été libre de faire ce que je voulais tout en ayant un budget réduit, ce qui implique plein de choses. Mais en même temps, j’ai pu tourner mon premier film sur trois continents : au Maroc, en France et à New York. Des erreurs artistiques, il y en a sûrement eu mais des erreurs pratiques, rien qui ne peut arriver à un autre tournage. Personnellement, je referais la même chose.

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Sachant qu’un tournage est toujours épuisant, comment avez-vous vécu cette expérience  et comment vous sentez-vous actuellement ?

Il faut savoir que quand tu fais un premier long et que tu as un budget réduit, tu es déjà très content de pouvoir tourner ! Car, de base, le film devait être tourné entre décembre 2015 et janvier 2016 mais au mois de novembre, nous avons perdu un de nos investisseurs et donc on a dû annuler le tournage. Ce qui est un véritable coup dur quand tu es censé commencer ta carrière. Mais finalement, après le Festival de Cannes 2016, tout est allé très vite. Dans ces situations-là, tu perds des kilos et tu paniques car tu es à la veille de lancer ta carrière, mais comme tu n’es personne, tu as peur de ne jamais pouvoir y arriver. Finalement, après 4-5 mois de déprime tout s’est relancé. Il ne faut donc rien lâcher et tenir, même s’il faut reprendre à zéro. Je pense que je n’étais alors pas prêt à tenir ce rythme car on a tourné à New York quelque jours, puis on a dû tourner 2 jours après avoir tourné là-bas, commencer à tourner à Paris pour 4 jours, et depuis on a tout tourné presque sans pause au Maroc avec notamment une dizaine de nuits de tournages. En même temps, quand tu vois le soleil qui se couche et que tu l’attends pour avoir la lumière, avec une centaine de personnes derrière, tu te dis que pour un premier film c’est vraiment cool après avoir passé des années à l’écrire seul dans ta piaule.

Vous avez déjà réalisé un court-métrage post-apocalyptique, Son of Chaos,  qui est le genre d’Hostile, quel est votre rapport avec ce genre ? 

Quand tu fais du post-apo, c’est généralement parce que tu n’as pas de blé au début. Tu ne vas pas faire Star Wars tout seul dans ta chambre ou dans ta piaule ! Le choix de ce genre est fait de façon à ce que les défauts deviennent des qualités. Le fait que tu n’aies pas d’argent devient une qualité si tu trouves les bons décors. Il y a donc la possibilité d’avoir un film qui claque visuellement avec peu de moyens. Après, il y avait une envie artistique qui venait notamment de Je suis une légende, Mad Max, etc. La référence ultime pour Hostile c’était Mad Max, notamment pour les bagnoles rafistolées. George Miller a 70 ans, il revient avec Fury Road et met une claquasse à tout le monde et ça reste toujours Mad Max. Pour le court-métrage (Son of Chaos disponible sur YouTube), on avait 3.000 balles de budget, j’ai tout fait moi-même : j’ai trouvé les costumes, je les ai vieillis moi-même… J’ai même fait une cascade puisque le mec qui devait le faire m’a lâché au dernier moment. Il fallait sauter dans un trou et personne ne voulait le faire.

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Image issu de Son of Chaos le premier court-métrage de Mathieu Turi.

Récemment, on a pu voir plusieurs films de genre français, avec des films comme Grave où des films de SF indépendants comme Le Grand ToutVirtual Révolution. A votre avis, s’agit-il plutôt d’une mode, où est-ce un mouvement qui porte sur le long-terme ? 

Il n’y a pas vraiment d’effet de mode quand on parle de films, il s’agit avant tout d’une volonté des producteurs. À part Le Pacte des loups, on n’a pas vraiment de film de genre à succès, à part le premier film des French Frayeurs, Promenons-nous dans les bois qui a cartonné (800.000 entrées). Ce qui se passe aujourd’hui c’est que tous ces films, Grave, Revenge, Virtual Revolution, sont produits différemment. Il va y avoir des films qui sont faits à moitié dans le système, comme Grave qui est un vrai succès par rapport à son nombre de copies, et d’autres entièrement autofinancés voir autodistribués comme Virtual Revolution. D’autres, comme Hostile, qui sont produits en dehors du système français, mais font partie du système de production mondiale, et qui sont tournés en anglais. Les gens qui font ces films ont à peu près le même âge, et ne sont pas issus du même contexte que la génération des French Frayeurs. Il s’agissait de personnes abreuvées par Mad Movies, mais qui n’avaient rien après. Ils ont donc voulu faire leurs films et faire péter le système en faisant des films extrêmement violents. Ce qui a créé des carrières avec des gens qui continuent encore de travailler, comme Pascal Laugier ou Xavier Gens. Alors que, à mon avis, pour notre génération nous n’avons pas cette rage contre le système, puisque l’on sait que le système ne veut pas de nous de toute façon. Toute la chaîne de fabrication d’un film ne fonctionne pas pour nous. On sait très bien que si on voulait faire du pognon en France et avoir des films qui réuniront dix millions de personnes on ferait de la comédie. Ça ne veut pas dire que la comédie c’est mal, mais nos racines à nous c’est le genre, ou le cinéma des codes. On ne fait pas les films pour qu’ils soient vus par tout le monde, mais tout simplement vus. Le premier endroit où est sorti Hostile, c’est au Moyen-Orient, où ils s’en foutent que le film soit du genre, il est sorti sans complexe au côté de films comme Black Panther Tomb Raider. Sans se comparer à eux, pour les exploitants du Moyen-Orient, ce film reste du cinéma, il peut donc être exploité. Et c’est très émouvant de savoir qu’à l’autre bout de la planète, il va y avoir des gens qui n’en ont rien à faire des difficultés que l’on a eu pour faire ce film, qui ne me connaissent pas du tout mais qui vont quand même voir ce film. La volonté de raconter des histoires rejoint celle de vouloir découvrir de nouvelles choses.

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Ce groupe de jeunes cinéastes, qui fait des premiers films, très inspirés par le cinéma américain, rappelle justement la Nouvelle Vague, mais dont l’héritage a été perverti. Un avis sur cette comparaison ?

C’est difficile de nous comparer à la révolution qu’a été la Nouvelle Vague, qui était des cinéastes qui en avaient marre du cinéma d’alors, celui des fils à papa, qui ont décidé de prendre leur caméra et aller filmer dans la rue. Qu’on l’aime ou non, la Nouvelle Vague a été une véritable révolution qui a inspiré le cinéma américain, provoquant la création des chefs-d’œuvre du cinéma hollywoodien des années 1970. Maintenant, ce que l’on fait c’est différent. On essaye de faire des films qui ont un pied dans le système, afin d’avoir les moyens pour les faire. Je pense que la révolution va arriver dans peu de temps grâce aux plateformes et à Internet. À mon avis, il faudra attendre une autre génération pour pouvoir assister à une véritable révolution. Quant à nous, on fait déjà nos films, ce qui est énorme. Mais je ne pense pas qu’on va changer grand chose. Ce qui a déjà été le cas avec des films comme Le Pacte des Loups, quoique dire que Le Pacte des Loups n’a rien changé n’est pas vrai. Il y a eu, en effet, un certain nombre de gros films de genre, à l’initiative de gros producteurs qui ont vu le jour, mais n’ont pas connu beaucoup de succès. Le Pacte des Loups, c’est une histoire à la Cameron, un film énorme, avec un très long tournage qui au final rencontre un vrai succès. C’est compliqué d’avoir du succès avec du genre, car ce cinéma nécessite du budget, or on nous demande de faire des cartons avec très peu de budgets. On est comme des snipers du haut de leurs immeubles qui doivent atteindre une cible à 1 km de notre position ! C’est normal qu’un producteur veuille produire surtout de la comédie, car, même si la plupart des comédies se plantent, celle qui marche cartonne. S’il y avait une vraie production constante de films de genre, cela permettrait d’avoir une dynamique qui pourrait faire éclore beaucoup de choses.

On a entendu parler d’une rencontre avec un célèbre personnage. Pouvez-vous nous en parler ?

On a une petite anecdote que je raconte souvent. Nous avons eu un parrain qui s’est tendu sur le berceau du film ! On était à New York, en repérage, et avec l’équipe on se met à chercher des sosies de merde. Et à un moment, un des producteurs croit avoir trouvé un sosie de Steven Spielberg ! Sauf que c’était vraiment lui. Alors on a pris notre courage en mains, et on est allé lui parler. On commence à discuter avec lui, on l’embête un peu jusqu’à qu’il nous demande ce qu’on fait ici, vu qu’il nous a entendu parler français. Là, on lui explique qu’on est en train de faire un film et il s’est mis à nous poser plein de questions dessus, il nous a félicités, etc. Il nous a aussi parlé de Scorsese qui a dû prendre l’avion pour aller à la cinémathèque. On a discuté avec lui, environ 7 à 8 minutes. Puis à la fin, il est parti, et m’a souhaité « bonne chance pour ton film » en français, avec un accent très prononcé. Un véritable rêve de gosse.

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Merci beaucoup ! 

Interview réalisé par Hugo Turlan et Théodore Vuillequez