Inherent Vice – Attention, bombe psychédélique !

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Amateurs de cohérence, passez votre chemin ! Le dernier Paul Thomas Anderson ne semble être régi que par la confusion et nous mène là où bon lui semble. Et si l’intrigue flotte au gré des volutes de fumée envoûtantes recrachées par les beatniks californiens des 70’s, on ne peut que vous conseiller de vous laisser porter, sans trop vous poser de question.

Bienvenue dans le Los Angeles des années 70. Drogue, sexe et rock’n’roll rythment le quotidien désabusé des habitants de cette ville aux allures de petit paradis typiquement américain. Larry “Doc” Sportello, détective privé marginal et hippie, véritable “stoner” débraillé à la Big Lebowski et brillamment interprété par un Joaquin Phoenix aux pieds sales et cheveux rêches, accepte de partir sur les traces du richissime petit-ami de son ex un peu délurée, lui-même marié à une femme sinistrement vieille et belle, ayant elle aussi un amant aux dents aussi blanches que la poudre qu’il se met dans le nez. S’y mêleront pêle-mêle toute une tripotée de protagonistes en tous genres, du flic mégalo au joueur de saxo infiltré, non sans oublier les toxicos défoncés du matin au soir et les dentistes dealer d’héro.

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Au premier abord, l’intrigue peut sembler quelque peu alambiquée, mais il faut s’y plier puisque tout le film est basé sur ce même schéma d’entremêlement évoluant en permanence dans la confusion et la discorde, marque de fabrique de Thomas Pynchon, auteur du roman éponyme dont est tiré le film.

Mais qui est donc Thomas Pynchon? Toujours actif et bien vivant, sa seule manifestation “publique” se résume jusqu’à présent à doubler la voix de son propre personnage dans un épisode des Simpsons. Écrivain de l’ombre donc, mais résolument pointilleux sur l’image qu’il dégage, ses œuvres se veulent complexes et énigmatiques, mêlant Histoire -avec un grand H– et culture Pop, le tout dans une dimension totalement déjantée et rocambolesque. Ainsi, son plus grand chef d’oeuvre paru en 1975 en France, L’arc en ciel de la gravité, est l’histoire d’un homme utilisé par les services secrets britanniques lors de la Seconde Guerre Mondiale. Pourquoi? Parce qu’il peut prédire n’importe quel bombardement allemand, grâce aux énormes érections que ces derniers lui provoquent. Étalant cette intrigue sur plus de mille pages, la nourrissant constamment de nouveaux personnages hors du commun et de péripéties en tout genre, on n’y comprend plus rien, et pourtant, impossible de ne pas finir le livre.

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Si dans Inherent Vice il est plutôt question d’une Amérique en proie à de nombreux changements politico-sociaux qui ont vu le jour au début des années 70, il n’en est pas moins que ce thème est récurrent dans la plupart des œuvres de l’auteur. “En tournant le film, j’ai cherché à adopter le point de vue inquiet de Pynchon sur le destin de l’Amérique. Les gens, à cette époque, avaient le sentiment d’être trahis.” indique alors Paul Thomas Anderson. Et on voit bien en effet que l’american dream californien semble s’effondrer peu à peu sous le poids de forces adverses de plus en plus puissantes, comme par exemple les magnats immobiliers détruisant les quartiers tranquilles de Gordita Beach, tandis que l’appât du gain s’est très vite mis à régir une grande partie de la population. On comprend alors mieux le sous-titre “Sous les pavés, la plage!”, non sans rappeler les slogans protestataires soixante-huitards scandés à la même époque à Paris. Très vite, l’atmosphère d’amour et de paix laisse place à la révolte et l’incompréhension de toute une génération tombant dans la paranoïa, et qui tente de faire face à un consumérisme grandissant et une politique entravée par la corruption.

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Et afin de nous plonger comme il se doit dans l’atmosphère électrique des 70’s californiens, le cinéaste n’a pas hésité à rassembler une fois de plus la crème de la crème en terme d’équipe technique. Car si certains cinéastes n’hésitent pas à changer d’un film à l’autre de collaborateurs, Anderson, lui, a bien compris qu’on ne change pas une équipe qui gagne. On retrouve donc le chef-opérateur Robert Elswit (cinquième collaboration, et oscarisé en 2008 pour There Will Be Blood), le chef-costumier Mark Bridges (cinquième collaboration, et oscarisé pour les costumes d’Inherent Vice) et le chef-décorateur David Crank (troisième collaboration, et que l’on retrouve notamment pour les décors de The Tree of Life et A la Merveille de Terrence Malick). Les amateurs de musique se verront également pleinement satisfaits par la bande-originale signée Jonny Greenwood, guitariste de Radiohead, marquant ainsi sa troisième collaboration après The Master et There Will Be Blood. “Il existe énormément de musiques formidable de cette époque” ajoute ainsi le réalisateur.

Incontestablement rock’n’roll et déjanté, Inherent Vice s’inscrit clairement dans la lignée des grands films cultes à la Tarantino ou Scorsese, à mi-chemin entre humour et violence, et où la déchéance est menée d’une main de maître. A voir donc, et à revoir sans modération.

En salle le 4 Mars.