Critique « Démolition » de Jean-Marc Vallée

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Dans son nouveau film Demolition, Jean-Marc Vallée, réalisateur des excellents C.R.A.Z.Y. et Dallas Buyers Club, raconte l’histoire de Davis Mitchell (Jake Gyllenhaal), banquier d’affaires au rythme de vie chronométré, qui perd tragiquement sa femme dans un accident de voiture. Celui-ci fait alors face au deuil d’une manière pour le moins inattendue. En effet, après avoir appris la nouvelle, impassible, il commande une friandise dans un distributeur situé dans l’hôpital mais celle-ci reste bloquée dans la machine. Il décide alors de faire une lettre de réclamation au service client et finit par s’y confier sur sa vie et sa situation. 

Les lettres deviennent de plus en plus récurrentes en incarnant un premier moyen d’extérioriser son incompréhension face à sa gestion apathique du deuil et attirent l’attention de Karen Moreno (Naomi Watts), l’employée du service client. Par la suite, la correspondance avec Karen va lui donner envie de la rencontrer, et il va développer une curiosité quasi compulsive pour toutes les choses qui l’entourent et auxquelles il n’avait pas prêté attention jusqu’alors. Cette nouvelle avidité le pousse à vouloir tout démonter pour en comprendre le fonctionnement, à tout détruire pour faire table rase du passé, puis pour tenter de tout reconstruire…

Explosif, sincère et sensible.

Jake Gyllenhaal, pilier du film, démontre une nouvelle fois sa capacité à incarner avec brio des personnages originaux. En effet, il parvient à susciter le rire dans des situations tragiques grâce à un jeu d’acteur impeccable et des répliques grinçantes interprétées avec rythme et précision. Son personnage souhaite en finir avec une routine de vie bien engagée auprès de sa femme et des habitudes prises sans qu’il s’en aperçoive et finalement, sans qu’il s’y retrouve.

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De ce fait, le spectateur développe une empathie immédiate pour lui car il se révèle touchant de sincérité et c’est là que réside l’un des principaux objets du film. Davis Mitchell se disait peu sincère avant le drame, en se mentant à lui-même et aux autres, au quotidien, sur qui il était, ses aspirations. Immédiatement après le choc, on ressent un changement de cap très clair et un désir profond de ne plus être dans l’imposture. 

En effet, il donne le sentiment de vouloir vivre sans filtre, comme un désir de revenir aux sentiments primaires de l’enfance. A plusieurs reprises, il évoque d’ailleurs des réminiscences de cette période de sa vie et les souvenirs décrits sont simples mais marquants et intenses.

Comme un jeune enfant, Davis teste ses limites, se met en danger et puis trouve finalement une certaine forme de jouissance dans la douleur. Ces états de pleine conscience, parfois violents, sont liés à une volonté absolue et organique de tout ressentir, comme pour combler le manque d’émotions suscité par la disparition de sa femme, qui finit par le hanter.

Par ailleurs, la relation qu’il tisse quasi-instantanément avec Karen et son fils est pleine de bienveillance et s’établit naturellement tel un besoin ressenti réciproquement, à cet instant précis. Elle confirme l’adage selon lequel aucune rencontre ne se fait par hasard et les trois protagonistes s’entraident, sans s’en rendre compte, à reprendre goût à la vie et à ses plaisirs simples.  Nous observons les personnages chahuter sur la plage, construire une cabane sous des draps et y faire des ombres chinoises, danser sans retenue. Le réalisateur parvient à capter ces instants de vie purs sans virer dans le pathos prévisible, en les rendant émotionnellement très forts, car frappants  de sensibilité.

« Demolition nous invite surtout à célébrer la vie dans ce qu’elle a de plus juste et de plus vrai »

Les trois personnages principaux sont également en quête d’eux-mêmes et communiquent un désir violent de s’affirmer tels qu’ils sont. Chris, le fils de Karen, incarné par le troublant Judah Lewis, s’interroge de façon précoce sur sa sexualité et son arrogance jubilatoire de préadolescent passionné de vieux rock cache une détermination à savoir qui il est. Il va d’ailleurs transmettre son goût pour la musique à Davis et l’aider ainsi à avancer dans son processus psychique. C’est aussi à partir de là que la bande-son gagne en efficacité en redonnant un souffle positif au film et en laissant place à des scènes de lâcher-prise jouissives.

S’il nous permet également de déculpabiliser concernant nos propres réactions face au deuil tant celles du héros sont surprenantes et excessives, Demolition nous invite surtout à célébrer la vie dans ce qu’elle a de plus juste et de plus vrai, qu’on ait besoin de tout démolir, de tout remettre en question ou bien de tout quitter pour enfin s’affirmer tel que l’on est profondément.

Clément N.