Critique « Paterson » de Jim Jarmusch : Entre sublimation de la simplicité et magnétisme enchanté du prosaïsme du quotidien

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Jim Jarmusch c’est ce cinéaste-poète dont la filmographie puise son essence dans une poétique de l’imagination. Jim Jarmusch, c’est aussi ce cinéaste à la force tranquille, dont l’admiration démesurée pour le cinéma mondial est transfigurée dans son dernier film, « Paterson » (dans lequel on sent l’influence acharnée du cinéma bressonien), un nom aux multiples résonances sémiques qui obsédera agréablement son spectateur un long moment après son visionnage. 

Hymne à la simplicité

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Adam Driver campe le rôle d’un conducteur de bus, aspirant poète, qui rédige ses poèmes en prose dans un isolement solennel. Il vit avec sa femme Laura (éblouissante Golshifteh Farahani) dont la vivacité ne trouve d’égal que la flamboyance de sa créativité. Profondément artiste dans l’âme, ce couple rayonne dans cette modeste demeure qui leur suffit, en compagnie de leur chien Marvin dont la respiration bruyante rythme le quotidien à l’apparence fade de ce couple ordinaire. Seulement, le réaliste subvertit ce préjugé commun et c’est le contraire qui jaillit chez le spectateur qui se retrouve à envier leur sérénité imperturbable. La réussite de Jim Jarmusch réside dans la captation palpable des variations d’un quotidien souvent perçu comme une homogénéité successive, notamment à travers le regard des artistes qui ont tendance à percevoir le banal avec une forme de méfiance et de négativité. Plus qu’un film sur le réel, c’en est un hommage, un parfait accord entre le tangible, le rationnel et la fiction. Les journées de Paterson se ressemblent autant qu’elles diffèrent. Il apparait comme un observateur bienveillant, un double de la figure du réalisateur qui veille sur ses personnages avec mansuétude. C’est une véritable poétique de la simplicité qui se fond aussi bien au niveau de la mise en scène que dans le récit lui même qui ne s’épuise jamais.

Poésie urbaine

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Paterson. Un personnage campé par un saisissant Adam Driver époustouflant de naturel et d’équilibre dans son jeu. Un mot, un terme qui suinte la poésie. C’est cette ville urbaine, incroyablement dense, qui se retrouve désengorgée sous la prodigieuse caméra de Jarmusch. Il rappelle ainsi l’importance et la fascination inspirantes des individualités observées par ce protagoniste qui écoute avec malice les conversations des usagers du bus qu’il conduit et qui finissent par l’inspirer lors de l’écriture de ses poèmes. Cette ville au prosaïsme inégalable inspire les artistes et rappelle le virage idéologique opéré au cours du XXème siècle. C’est ainsi que le recueil éponyme de William Carlos Williams (vénéré par Paterson) et les poèmes de Paterson trouvent tout leur sens. Ce malicieux téléscopage de termes homonymes, mais à la nature substantielle profondément différente, permet la rencontre entre les constituants d’un même microcosme souvent dissociés jusqu’alors. La poésie, le réel et l’homme se retrouvent enfin. C’est l’abandon définitif de l’inspiration divine. C’est la revendication du concret comme inspiration poétique et comme terrain de rencontre bénéfique avec l’autre. Ainsi, le bar dans lequel se rend Paterson apparait ainsi comme le lieu symbolique de cette rencontre du multiple. On se plait ainsi à observer ces histoires et ces anecdotes si communes. Jarmusch réussit ainsi l’exploit de transfigurer le prosaïsme du réel avec une apparente simplicité et à le rendre savoureux, et pour cela, on ne peut que l’en remercier.

En cette fin d’année marquée par une production explosive de blockbusters boursouflés et hyperboliques, le Paterson de Jim Jarmusch est joyau de simplicité qui constitue une véritable bouffée d’air frais. Il tend à nous faire fléchir, sans nous moraliser, vers un relativisme réfléchi.