Critique « La Nuée » de Just Philippot : une aventure sociale, écologique et horrifique

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Après deux courts-métrages, et un film collectif, Just Philippot décide de voler par ses propres ailes. Il signe pour l’occasion son premier long-métrage en solo : La Nuée. Porté par Suliane Brahim, La Nuée raconte le quotidien d’une éleveuse de sauterelles comestibles. Cette dernière, rencontre quelques difficultés à concilier sa vie d’agricultrice, et celle de mère célibataire. Tandis qu’elle rencontre quelques problèmes d’argent, elle trouve une idée étrange pour accentuer son rendement.

La Nuée : un film de genre qui mélange les styles

Just Philippot signe un film étrange, étonnant, déroutant, qui mélange les genres avec une étonnante facilité. La Nuée est un film unique, une proposition de cinéma radicale, qui ne ressemble à rien. Le cinéaste n’hésite pas à varier ses thématiques, à proposer des approches différentes, inattendues, et mélange les styles avec beaucoup de maîtrise. La Nuée est à la fois un drame social ; une critique écologique ; un regard sur le système agro-alimentaire moderne ; une critique de l’élevage, de la consommation intensive, de la vente de viande ; tout en proposant des ressorts horrifiques et des références appuyées aux fléaux païens. Et si tout ceci peut paraître fouillis, il n’en est rien, car Just Philippot sait de quoi il veut parler et comment en parler.

Critique "La Nuée" de Just Philippot : une aventure sociale, écologique et horrifique

La Nuée débute comme un drame familial, une aventure sociale assez classique. Le cinéaste met en scène les tribulations de cette mère de famille, qui tente d’élever ses enfants, mais aussi ses sauterelles. Elle galère à joindre les deux bouts. Dans une première partie assez attendue, le cinéaste porte un regard sur la difficile réalité du métier d’agriculteur et d’éleveur. Il met en exergue l’abandon ressenti par cette tranche sociale, qui doit se débrouiller seule, sans réelle aide de l’État. Tout en luttant contre une société de consommation toujours plus massive.

Une aventure écologique 

Si les mésaventures familiales sont trop convenues : rébellion d’une adolescente prépubère, problèmes de santés du cadet ; les ressorts écologiques sont largement mieux abordés. Par le biais du fantastique, Just Philippot met en lumière la pression toujours plus intense de cette classe sociale, obligée de pousser toujours plus loin les rendements pour garder la tête hors de l’eau. Par un parallèle assez malin avec les quelques ressorts horrifiques, le cinéaste pointe du doigt une profession à l’agonie, qui cherche des alternatives toujours plus poussives et dangereuses. Le film met également en avant le paradoxe de notre société, qui pervertie tout ce qu’elle touche. Cette alimentation alternative et sain, n’existe que par une méthode de production aliénée.

Critique "La Nuée" de Just Philippot : une aventure sociale, écologique et horrifique

C’est également un regard accusateur qui condamne une société moderne constamment plus abusive. Une structure sociale qui n’hésite pas à pousser la consommation à l’excès. Un regard critique sur la surconsommation de viande également, une déviance qui prend une tournure inquiétante dans La Nuée. Il critique ainsi tout le système agro-alimentaire moderne, que ce soit la production de masse, qui détruit les petits producteurs, où l’importation, qui empêche une consommation propre des ressources. Le cinéaste cherche à rappeler les dangers de l’élevage de masse, la mauvaise condition des animaux, à travers une relecture intéressante des mythes païens. Difficile, évidemment, de ne pas faire le lien avec les dix fléaux d’Égypte, et l’invasion des sauterelles qui consument toutes les ressources naturelles. Just Philippot offre un parallèle intelligent, et plutôt malin, pour rappeler que le nouveau fléau, c’est incontestablement l’Homme lui-même.

Quelques ressorts fantastiques et horrifiques bienvenus

Heureusement, l’aspect social, qui manque d’une certaine originalité, ne s’éternise pas, et est surtout agrémenté de ressorts fantastiques et horrifiques salvateurs. La Nuée n’hésite pas à proposer quelques instants d’épouvante et quelques visions d’horreur marquantes. Le lien entre la protagoniste et ses sauterelles ne cesse de s’intensifier, et offre quelques passages musclés, et surtout assez rebutants, à travers un crescendo calculé. Alors que Just Philippot propose peut-être un rapport entre l’élevage des enfants et des sauterelles, il n’hésite pas à mettre son héroïne dans des situations tendues. Une figure féminine forte, brillamment interprétée par Suliane Brahim, d’une justesse impeccable.

Critique "La Nuée" de Just Philippot : une aventure sociale, écologique et horrifique

Parfois très glauque, La Nuée confronte le spectateur à ses peurs profondes, à son dégoût pour les insectes et réveille l’entomophobie en chacun d’entre nous. Le final, même s’il est relativement prévisible, est impactant et globalement assez impressionnant. Aidé par une photographie superbe, et une bande-son électrisante, les ressorts fantastiques fonctionnent à la perfection, malgré quelques défauts de rythme assez mineurs. La faute à une première partie moins réussie que la seconde. Et même si le dénouement manque parfois d’originalité, le film fonctionne généralement plutôt bien. Le cinéaste impose une atmosphère oppressante de tous les instants, magnifiée par l’obsession maladive de son héroïne, pratiquement à l’agonie. À travers un ton lancinant, le réalisateur tisse les toiles d’un récit rondement mené, qui vaut assurément le détour.

La Nuée est un film de genre très réussi. Le métrage mélange les styles : drame social ; critique écologique ; ressorts horrifiques ; critique du système alimentaire moderne ; avec une pointe de fantastique mystique. Le tout avec une certaine maîtrise.