Critique de En Mai, Fais ce qu’il te Plait de Christian Carion

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Conséquence attenante à l’invasion du Nord de la France par les allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’exode massif des populations de Mai 1940 qui a suivi, demeure encore aujourd’hui un épisode douloureux de l’Histoire de France. Donnant à voir un pays affaibli, résigné et défaitiste, cet évènement aura surtout été le théâtre d’une migration de gens désemparés, fuyant leurs champs vers un avenir incertain. Un constat qu’a choisi de transposer à l’écran le réalisateur Christian Carion, déjà auteur de Joyeux Noel (2004) et qui use d’une mise en scène pudique et sensible pour délivrer un film empli d’un profond relent d’humanité.

Doté d’une passion pour l’Histoire de France telle qu’elle le ferait aisément passer pour un historien, et d’un sens de la narration à rebrousse-poil des clichés, Christian Carion est qu’on se le dise, un étrange spécimen du cinéma français. Dans Joyeux Noël, où il décrivait la relation naissante entre les soldats français et allemands de la Grande Guerre à l’approche des fêtes de Noel, Christian Carion avait déjà su marquer les esprits par son approche singulière du conflit. Une vision humaniste, sincère et chassant le mélo, conférant à l’ensemble un relent de pédagogie assumé. Une décennie plus tard et le voilà déjà en train de récidiver avec En Mai, Fais ce Qu’il te Plait, cette-fois-ci centré sur la Seconde Guerre Mondiale et l’un de ses épisodes, parmi les moins glorieux et les moins connus : l’Exode. Une œuvre personnelle (sa mère ayant participé audit évènement) qui a motivé le réalisateur à s’engager corps et âme dans le projet, quitte à raviver le spectre de cette marche dans l’inconnu auprès des familles nordistes, ayant par leurs photographies et témoignages, enrichi une œuvre agissant tel un devoir de mémoire grandeur nature sur cette tranche d’Histoire.

Mai 3

Et quelle histoire. Prenant place dans un petit village du nord de la France à proximité d’Arras, En Mai Fais ce Qu’il te Plait semble au fil de son déroulé comme la quintessence du style de son auteur. Entre tendresse, humanisme et sincérité, l’évocation de la vie de ces paisibles campagnards partagés entre le travail des champs et les bonnes bouteilles de vin, non conscient encore de l’offensive hitlérienne qui menace l’Hexagone, a quelque chose d’unique. Il faut dire que les films prenant le pari de ne pas sombrer dans le mélo dès l’entame sont rares. C’est d’autant plus rare d’ailleurs de voir un film présentant un degré d’immersion et d’extériorisation aussi grand. Car non content de donner à voir le quotidien de ces paysans française pures souches, le réalisateur s’attarde également sur le destin d’un soldat écossais désireux de rallier l’Angleterre et un père allemand, à la recherche du convoi ou se trouve son fils. L’occasion alors de conférer au film une richesse indéniable, puisque leur présence apporte un regard complémentaire sur les victimes non-françaises de ce IIIe Reich.

Mais à bien des égards, la principale qualité du film réside dans son traitement de l’histoire. Hormis quelques scènes tragiques que Carion a souhaité expliciter (notamment celle de l’enfant déterrée), l’ensemble du film ne s’attarde ni sur la barbarie des nazis, ni sur la dramaturgie de l’exode. Certes, il montre la faim et l’épuisement endurés par les civils durant leur migration mais Christian Carion s’attache essentiellement à la dimension humaine et à la fraternisation de ses « troupes » : avec humour et délicatesse, il décrit l’entraide qui se créée en temps de guerre et cette dimension collective qui nait d’un tel événement. Chaque membre de son convoi se remet donc en question, s’égare dans ses craintes et ses désirs puis finit par se laisser porter par cette volonté commune de s’en sortir, ardemment portée par les êtres qui l’entourent et le comprennent. Une volonté d’échapper au mélo, d’ailleurs magnifiée par une bande-originale composée par un ténor de la musique de film, en la personne d’Ennio Morricone, 86 ans, charmé par le projet et la dimension humaine véhiculée.

On pourra peut-être seulement reprocher au film quelques transitions un peu gauches, notamment au début lorsque les évènements datés se succèdent trop rapidement ; et des interprétations assez ambivalentes, parfois réduites à des simples archétypes ; mais le constat reste similaire : le film est d’un ravissement total et une leçon d’Histoire humble, sincère et déroutante.