Notre avis sur « Atlantic Bar » de Fanny Molins

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Champs Elysées Film Festival : Notre avis sur « Atlantic Bar » de Fanny Molins (Prix du Jury Long métrage français et Prix du Public). Documentaire en compétition dans la catégorie longs métrages indépendants français.

Dès l’aube, dans un quartier populaire d’Arles, les ouvriers réparent la voie publique tandis que les éboueurs sillonnent les rues. Parmi cette « France qui se lève tôt » et qui s’affaire dans l’ombre, Nathalie et Jean Michel préparent l’ouverture de leur bar. Le documentaire de Fanny Molins plante d’emblée le décor : nous voilà plongés une heure durant dans la France que l’on croise, sans vraiment oser la regarder. 

De la série photographique au documentaire 

La genèse du film se trouve dans le projet photographique de Fanny Molins, « Les musiciens ». La réalisatrice, qui souhaite produire une série de photos dans un bar, jette son dévolu sur l’Atlantic Bar. Si les premiers essais donnent parfois lieu à de ‘grands moments de solitude’ – comme elle le confiera lors de la rencontre suivant la projection -, elle se fait peu à peu sa place et se lie d’amitié avec la patronne, Nathalie. Elle restera finalement quatre ans à l’Atlantic Bar, et repartira avec une cinquantaine d’heures de rush qui lui permettront de réaliser un long métrage. Lors du visionnage, on comprend que l’on puisse s’y éterniser. Car l’Atlantic n’est pas un simple bar, mais aussi des protagonistes singuliers.

Fanny Molins lors de la rencontre au Champs Elysées Film Festival le vendredi 24 juin 2022

Atlantic Bar : Un théâtre du quotidien 

Lors des journées qui passent et se ressemblent, les personnages se croisent à l’Atlantic, pour un expresso pris sur le vif, ou une soirée d’été qui s’éternise. Avec leur franc parler et leurs visages marqués, les habitués du bar animent le quotidien qu’il partage dans ce lieu devenu leur refuge. La caméra s’est faite oublier, et la réalisatrice fait désormais partie des leurs, ce qui donne lieu à des moments profondément authentiques. La proximité nouée avec ces personnages donne lieu à une double narration. Car si la majorité des scènes se passent dans le tumulte du bar, laissant presque croire à un film scénarisé, d’autres se déroulent dans l’appartement juste au-dessus, dans un espace plus intime. Seuls face à la caméra, les habitués se livrent peu à peu et nous narrent leurs récits intimes. On comprend alors l’importance de l’Atlantic, véritable repère salvateur, et la force du groupe qui permet d’échapper à ses malheurs dans la fête et ses excès. Atlantic Bar nous fait ainsi regarder en face, sans tabou, ces histoires de vies autant marquées par la violence, l’addiction, mais aussi la lutte, la rédemption, et surtout la solidarité.   

Le témoignage d’une soumission sociale et économique 

L’Atlantic Bar est donc une arène où s’affrontent des caractères, des récits de vie, tout comme un écrin protecteur, une échappatoire, un refuge contre la solitude. Mais cela ne le protège pas de la dure loi du plus fort, lorsque le propriétaire décide de vendre le fond de commerce. Nathalie, qui s’impose au fur et à mesure comme le personnage principal du film, se bat pour ne pas l’abandonner. Mais cette dernière doit faire face à une double oppression : celle du bar, à qui elle se consacre corps et âme, et celle sociale, financière, contre ceux « qui possèdent mais ne respectent rien ». L’histoire de l’Atlantic Bar, c’est donc aussi l’histoire de la disparition des bars de quartier, de l’effacement systématique de ces populations peu considérées, voire sciemment cachées au profit de la gentrification des quartiers. 

 « Atlantic Bar », c’est une aventure humaine, partie presque d’un hasard. C’est une série de portraits uniques, des récits que l’on voudrait à peine croire. Fanny Molins livre ici un documentaire aussi drôle que poignant et donne la parole à ceux qui n’ont pas les moyens de le faire. On espère qu’après avoir conquis le jury et le public –Atlantic a remporté le Prix du Jury et le Prix du Public-, le film sortira en salle.