Critique « Burning » de Lee Chang-dong : métaphore incandescente et poésie ardente

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Huit ans après Poetry, le coréen Lee Chang-dong fait une entrée fracassante au dernier festival de Cannes avec Burning ; film politique, poétique, métaphorique, le réalisateur signe l’une de ses plus grandes oeuvres, dans un savant mélange des genres qui nous tient jusqu’au bout, et même au-delà. Du très grand cinéma.

En apparence, Burning a tout d’un thriller classique : Jong-soo (Yoo Ah In), un jeune coréen au chômage retrouve Haemi (Jeon Jong-seo), une amie d’enfance dont il tombe très vite amoureux. Le couple est bientôt rejoint par Ben (Steven Yeun), un jeune homme très riche qui va rapidement capter l’attention et apporter avec lui une série d’intrigues et d’événements déstabilisants. Car si les débuts de Burning sont très limpides, le tout s’assombrit peu à peu pour laisser place à un épais brouillard de mystère, où réalité et imaginaires se recoupent pour laisser un monde empreint de désirs, de violence et d’amertume.

On le découvre donc petit à petit, Lee Chang-dong est loin de faire de son film un simple thriller ; ce qui change la donne, et confère à Burning une aura si magnétique, c’est une réalisation millimétrée à la perfection, une infinie douceur des images mélangée à une brutalité de la réalité palpable à chaque instant. C’est un savant mélange entre une poésie omniprésente, et un cycle infernal qui emporte dans une spirale tout ce qui ose l’approcher. Burning est l’un de ces films où le titre résonne telle une évidence alors que les minutes passent irrémédiablement pour chacun des personnages.

Burning furyosa 2 Critique "Burning" de Lee Chang-dong : métaphore incandescente et poésie ardente

Là où Burning frappe très juste et très fort, c’est en instaurant dès les premiers instants une tension infime, qui nous capte sans jamais relâcher notre attention ; sans jamais tomber dans le dramatique ou le policier, l’intrigue tient en équilibre, comme en apesanteur dans le temps, entre une douceur et une friction des sentiments, qui s’entrechoquent entre la pudeur et le désir. Appuyé par une photographie délicate et naturelle, Burning séduit et transcende. Chaque plan sait prendre ce temps essentiel, chaque mouvement se fait lentement, pour toujours mieux appréhender et apprivoiser ces impressions et ces personnages.  A travers les filtres brumeux du plastique des serres ou des vitres teintés par la poussière, chaque regard en dit long sur les pensées, et chaque rayon passe en éclairant sa part de vérité. Cette vérité ne nous est pas toujours accessible : le fonctionnement par métaphore se construit lentement mais habilement, comme une poésie ne distinguant plus le réel de l’imaginaire. 

Disparaître comme si ça n’avait jamais existé. Un paradoxe omniprésent, auquel chacun porte son interprétation ; chacun des personnages semble irrémédiablement relié aux autres par l’énonciation de cette illusion métaphorique. Les rayons du soleil, le chat, le puit, les serres de plastique, tout disparaît et réapparaît, jusqu’à Haemi elle-même ; Jong-soo assiste à ces métamorphoses de la réalité dans une impuissance physique, et dans une faim de connaissance digne des « Great Hungers », ceux qui ont un besoin insatiable de vérité et de vie. La fascination prend le dessus au fur et à mesure que notre propre imaginaire invente à son tour des images emplies d’illusions.

BURNING Photo 7 ©2018 PinehouseFilm Critique "Burning" de Lee Chang-dong : métaphore incandescente et poésie ardente

Entre toutes ces lectures, on ne peut s’empêcher de voir Burning comme un film éminemment politique. Si Haemi s’efface lentement du paysage et des pensées, c’est la rivalité entre les deux hommes qui prend au fur et à mesure toute son importance ; deux classes sociales, facilement symbolisé par des voitures, s’affrontent et s’envient mutuellement. D’un côté il y a l’ennui d’une vie sans tristesse et sans soucis, de l’autre l’injustice et la colère, qui s’enflamment dans un désir final empli de pulsion destructrice. 

Burning se consume lentement, rentre dans nos esprits et y sème les graines du doute et de la fascination, dans une infinie poésie et une séduisante aura. Lee Chang-dong percute nos sens et nos émotions, et fait de la douceur une force fascinante. Un très grand film, à découvrir au plus vite.

 

Bande-annonce Burning de Lee Chang-dong :