Critique « 3000 nuits » de Mai Masri : un film fort et pertinent

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3000 nuits est le premier film de Mai Masri à connaître une sortie française. Il raconte l’histoire inspirée de faits réels de Layal (Maisa Abd Elhadi), jeune palestinienne enfermée dans une prison israélienne pour un attentat auquel elle n’a pas participé. Condamnée à 8 ans d’incarcération, elle se découvre enceinte et décide de garder l’enfant. Le film, convaincant, prend un angle de vue différent pour aborder le conflit israélo-palestinien et nous raconte une histoire qui mérite d’être entendue.

Des relations humaines puissantes

Dans la première partie du film, l’intrigue se construit petit à petit autour de la protagoniste et de son enfant. Cette première partie est très dynamique, parfois trop : les éléments s’enchaînent sans nous laisser le temps de bien les assimiler et de s’en imprégner. Tout va vite, trop vite. Le film ne va pas en profondeur dans les explications et détails. On a l’impression d’assister à une juxtaposition d’événements : l’emprisonnement, le jugement, l’évolution des relations entre les personnages…Ces dernières priment sur le reste.
3000 nuits bébé
La réalisatrice peint des portraits de femmes, des femmes fortes, obligées de trouver leur place au sein de cette prison. Car si Layal partage au départ la cellule de prisonnières israéliennes, elle est ensuite transférée avec des palestiniennes et découvre que celles-ci ne bénéficient pas du même traitement que les autres. Considérées comme inférieures, elles subissent les humiliations des employées de la prison et n’ont pas les mêmes droits que leurs consoeurs. Face à cette adversité, des liens forts se tissent entre les prisonnières palestiniennes. Layal se fait peu à peu accepter au sein de cette « famille » et en obtient un soutien précieux lorsqu’elle annonce sa grossesse.

Elle développe une relation fusionnelle avec son fils Nour, seul rayon de soleil de l’environnement sordide dans lequel elle est enfermée. Son fils devient un symbole d’espoir, une échappatoire, un moyen de s’évader de l’univers carcéral. Il lui donne de la force et l’envie de se battre. Ces portraits sont forts, pertinents, et servent le propos de la réalisatrice. Même si le jeu des actrices est assez inégal, certaines en faisant parfois un peu trop, les relations entre les personnages sont crédibles et donnent corps au récit.

Une voix pour les femmes palestiniennes

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Bien que le conflit israélo-palestinien soit en trame de fond tout au long de l’histoire, on peut distinguer une deuxième partie beaucoup plus axée sur cette problématique. Le récit se déroule dans les années 80, peu avant les événements de Sabra et Chatila. En plus des tensions qui opposent directement prisonnières israéliennes et palestiniennes, une révolte se prépare. Cette deuxième partie est mieux construite et structurée que la première. Le film prend un tournant plus politique. Mai Masri se fait la voix féminine de la Palestine au cinéma. On assiste au combat quotidien de ces femmes. On comprend leurs motivations et l’on partage leurs espoirs, leurs doutes et leurs désillusions. Elles nous permettent de porter un regard nouveau sur ce conflit auquel on ne prête presque plus attention à force d’en entendre parler.
Cette œuvre, comme ces personnages, est forte et courageuse. La réalisation, d’une grande beauté, allie poésie esthétique et style documentaire. Cette belle mise en scène souligne un message percutant mais aussi une histoire profondément humaine.

3000 nuits est un film où l’on ne s’ennuie pas, qui nous fait découvrir une facette peu connue du conflit israélo-palestinien, puisque abordé du point de vue carcéral. Malgré les récompenses obtenues dans plusieurs festivals (notamment le San Francisco International Film Festival), sa diffusion a été interdite par le maire d’Argenteuil. Une décision aberrante à laquelle il faut faire barrage en allant voir cette œuvre qui, malgré quelques petits défauts, touche et interpelle.

Sortie le 4 janvier 2017.