Alerte rouge : rencontre avec la réalisatrice Domee Shi et la productrice Lindsey Collins

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À l’occasion de la sortie d’Alerte rouge le 11 mars, (bien malheureusement) en exclusivité sur Disney+, la nouvelle production Disney/Pixar, Justfocus a été invité à un échange de 45 minutes avec la réalisatrice Domee Shi et la productrice Lindsey Collins. Une projection qui s’est déroulée au Silencio des Près, dans le 6e arrondissement de Paris.

Qu’est-ce qui vous a amené à réaliser Alerte Rouge après votre court-métrage Bao ?

D. S. : C’est un peu comme un enfant spirituel de Bao, j’avais beaucoup de choses à explorer dans la relation enfant/parent, mais plus spécifiquement, dans la relation mère/fille. J’avais vraiment envie de faire un film pour la fille de 13 ans que j’ai été. On se rend compte que de nombreuses choses changent : le corps, des poils qui apparaissent. C’est assez effrayant, pas évident à vivre, mais il ne faut pas s’inquiéter car on arrive, à terme, à surmonter ce passage.

D’où vous-est venue cette métaphore de la transformation du personnage de Meï en panda roux géant et de même, pourquoi cet animal ?

D. S. : Je voulais vraiment faire un film sur la « magie » de la puberté. Et le panda roux m’est venu immédiatement en tête, étrangement. De base, je les adore, je les trouve vraiment mignon et sous-représentés dans les médias. Mais surtout, les pandas roux sont poilus, étranges et surtout rouge. Et le rouge, c’est la couleur de la puberté, des menstruations, de la colère, de l’embarras. C’était quelque chose d’évident.

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Disney/Pixar

Lindsey Collins, comment avez-vous vécu l’aventure Alerte rouge avec votre expérience de mère ?

L. C. : C’est certain qu’en étant maman de trois adolescents, c’était ma recherche de tous les jours de parler avec eux. Et je dirais que je suis plutôt du côté de la mère dans le film. En ce qui concerne Bao, j’ai beaucoup aimé Bao et j’étais très curieuse de ce qu’elle allait faire avec son premier long-métrage. Donc j’ai vraiment lutté pour produire ce film et je ne suis pas du tout déçu de son travail.

Était-ce important que les personnes à la tête de ce projet, de la production à la direction artistique, soient des femmes ?

L. C. : Ce n’est pas quelque chose qu’on a « décidé » de faire. Nous avons un réservoir de personnes talentueuses, des leaders créatifs chez Pixar. Et il s’est avéré que celles qui étaient le plus à même de porter le projet étaient des femmes. Nous avons une scénariste, une directrice artistique, la première superviseuse de la direction technique pour un film Pixar, évidement Domee à la réalisation et moi-même du côté de la production. Quand nous étions en pré-production, nous nous sommes rendu compte qu’avec une équipe féminine, nous pouvions aller beaucoup plus loin. Dans les idées les plus « audacieuses », beaucoup d’hommes se disaient : « Non, c’est peut-être trop, il faudrait faire autre chose », alors que les femmes étaient d’accord « qu’il fallait absolument aller dans cette direction-là » et même encore plus loin.

Quels sont vos personnages préférés du film et pourquoi ?

L. C. : Je vais aller contre les attentes, mais je dirais que c’est Meï (l’héroïne, âgée de 13 ans). En tant que mère, je la trouve très inspirante. Quand je la vois, je me dis « oh mon dieu, elle a tellement de confiance en elle, elle est vraiment cool, n’essaye pas d’être populaire, elle est bien dans sa peau au début du film ». Même si elle a ses extravagances, elle assume ce côté-là, elle garde la foi, même quand le monde autour d’elle se bouleverse.

alerte rouge coulisses 02 Alerte rouge : rencontre avec la réalisatrice Domee Shi et la productrice Lindsey Collins
Disney/Pixar

D. S. : Pour moi, ce serait les amies de Meï (Miriam, Priya et Abby). C’était vraiment très enrichissant de les écrire, de les dessiner. Cela me rappelle mes propres copines quand j’étais plus jeune. Il y a Miriam, un peu garçon manqué, qui pousse un peu Meï dans d’autres directions, Priya avec son côté gothique, fan de vampire et Abby, qui va te défendre dans n’importe quelles situations. J’aurais rêvé avoir une telle bande autour de moi. Si je pouvais choisir, je serais Priya pour son côté sombre, mais aussi « chill ».

D’où vient ce côté de sororité très présente dans Alerte rouge ?

D. S. : Je pense que ça vient de mes propres amitiés durant ma vie. Je suis fille unique, donc j’ai vécu les relations avec mes copines, du collège à l’université, de manière très forte, fusionnelle. Le personnage d’Abby est directement inspiré d’une amie à moi (Hyein Park, N.D.L.R.) de l’école d’animation que j’ai faite et qui la double dans le film. C’est une Coréenne qui a la voix la plus effrayante que je connaisse et lorsqu’on va au karaoké, elle chante toujours très très fort. Dans le film, elle a l’air de martyriser Meï, mais ce n’est que de l’amour.

Pourquoi avoir choisi de placer le film en 2002 et quelles sont vos références artistiques pour sa conception ?

L. C. : Déjà, à cette date, Domee avait 13 ans, ce qui est vraiment déprimant pour moi (rires). C’est quelque chose dont nous avons longuement débattu. À ce moment, il n’y avait aucun réseau social. L’intérêt était de créer une balance entre deux pôles : la famille et les amis. Si nous avions dû inclure les réseaux sociaux, cela aurait été un autre pôle, alors que nous voulions garder une histoire simple. Ce n’est pas que l’histoire ne fonctionnerait pas à notre époque, mais introduire ce thème serait un « autre panda roux ».

D. S. : En termes de références, Ranma ½ est une valeur absolue pour moi. Je voulais retranscrire ce mélange de culture dans lequel j’ai grandi, à la fois avec l’animation de l’Ouest (Disney/Warner Bros) et celle de l’Est (Ghibli, animés). Dans le film, Meï est aussi une symbiose entre ces deux origines, puisqu’elle grandit au Canada, dans une communauté chinoise très prononcée. Nous avons donc combiné les deux modèles d’animation au sein du film avec quelque chose de très « exagéré », mais aussi « coloré », inspiré de Sailor Moon ou des films de kaïjus.

Turning Red bathroom Alerte rouge : rencontre avec la réalisatrice Domee Shi et la productrice Lindsey Collins
Disney/Pixar

D’où vous-est venu l’idée de ce qui est le premier boys band dans l’histoire de Pixar et est-ce que vous avez envisagé de faire plus de chansons avec eux ?

D. S. : Qui n’a jamais voulu créer son propre groupe ? À l’origine, c’était plutôt une blague et ils avaient un rôle plus léger dans la première version du film. Il nous semblait que cela donnait quelque chose de plus authentique pour des jeunes filles de 13 ans d’avoir cette envie d’aller voir un boys band. Au fur et à mesure de la production, les équipes soutenaient qu’il fallait que le groupe de musique soit plus présent. Nous avons eu la chance d’avoir trois chansons écrites avec Billie Eilish et Finneas O’Connell, au-delà, c’était un peu cher (rires). Pour la première, c’était important d’avoir un son qui puisse remonter le moral en toutes circonstances. Ensuite, il fallait une musique un peu « slow » lorsque Meï a un coup de foudre pour un garçon. Et enfin, une chanson pour se booster, lorsque les filles doivent gagner de l’argent pour aller au concert.

https://www.youtube.com/watch?v=ES-xNbGtlIo

L. C. : Peu à peu, ils ont eu de plus en plus de place dans le scénario, notamment dans la troisième partie du film. Et je pense que les gens auraient fait une émeute si on les avait coupés du film (rires).

Quand on vient d’une famille asiatique et d’autant plus quand on est fille unique, on a souvent la pression de devenir avocat ou médecin. Comment vos parents ont réagi à votre choix de carrière ?

D. S. : En effet, mes parents étaient exactement comme ça. Ils étaient inquiets que je ne trouve pas dans de travail dans le milieu artistique. Mais j’ai réussi à les convaincre qu’une école d’animation serait un bon investissement pour eux : « Regardez, à Disney, il y a une assurance santé, une retraite, de bonnes conditions de travail ». J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont soutenu dans mes rêves, mais il fallait que je travaille dur et que je sois la meilleure pour réussir. Je suis allée à Sheridan College au Canada où j’ai obtenu un bachelier d’art. Cela a ses avantages et des inconvénients puisque ce sont de grandes promotions, mais j’ai pu m’en sortir avec mes amies.