L’originale histoire d’un séminariste sénégalais prisonnier en Bretagne

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Récit atypique, Plus près de toi (Aire libre) raconte l’histoire inattendue d’un jeune séminariste sénégalais contraint par son père de s’engager dans l’armée française en 1939 pour finir prisonnier de guerre en Bretagne. Pour mettre en images son scénario original, Kris (Notre mère la guerre) a fait appel au plus poète des ex-dessinateurs de Spirou & Fantasio, le bonhomme et sympathique Fournier.

Lorsqu’on pense à Jean-Claude Fournier, on pense immanquablement dans le même temps au successeur de Franquin dans Spirou & Fantasio ; à celui qui créa l’inénarrable Itoh-Kata, la gironde Ororéa et les crétins du « Triangle ». Il s’est fait bien discret depuis et lorsqu’il a une actualité, c’est toujours de manière très modeste, limite timide. Raison de plus pour parler de ce nouvel album, un rien surprenant. Pour ceux qui n’ont pas arrêté de suivre ses travaux après Des haricots partout en 1980 et qui connaissent notamment Les Chevaux du vent (également chez Aire libre), son style léger et poétique ne surprendra pas. Ce qui peut paraître en revanche un peu étonnant au premier abord, c’est le choix de ce type de trait pour un récit grave se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale. En fait, c’est tout le contraire qui se produit.

Le scénario de Kris, habitué des récits de guerre (mais pas seulement, voir Les Brigades du temps), s’attache ici à présenter les circonstances dans lesquelles sont gardés prisonniers des soldats africains-français dans un camp des Côtes du Nord (on ne disait pas encore d’Armor à l’époque). Et l’on s’attache plus aux relations entre ces prisonniers et la population locale qu’à décrire l’horreur du nazisme pour la millionième fois. Cela dit, les Allemands ne sont pas non plus montrés comme de simples soldats sous le trait idyllique de Fournier. Reproche que certains ne manqueront pas de lui faire. Le sujet n’est pas là, et « pour une fois », il est intéressant d’aborder un aspect peu évoqué de ce conflit.

Il est cependant vrai qu’il pourrait se dégager parfois un sentiment d’angélisme lors de certains passages, qui pourrait effectivement prêter lieu à la critique, s’ils n’étaient pas rapidement contre-balancés par des retours brutaux à la réalité. Et le contraste entre les moments où l’occupant apparaît sous un jour meilleur (les soldats autrichiens qui partagent café et cigarettes avec le patriarche breton puis l’épisode du parachute) avec l’attitude des nouveaux Allemands revenus du front de l’est (sans oublier auparavant les séquences du début) permet justement de donner un côté plus réel à la situation d’ensemble et au contexte. Ce n’est clairement pas manichéen.

Le trait rondouillard de Fournier est donc finalement bien adapté au scénario de Kris car il permet de faire ressortir les moments les plus positifs et sympathiques des personnages, mais aussi de mettre froidement en évidence la cruauté des Allemands. C’est tellement surprenant de voir ce joli trait servir à représenter cette laideur, que le choc suscité sert parfaitement le propos.

Pour le reste, le récit met en avant les relations entre les Africains utilisés dans les fermes locales pour remplacer les hommes prisonniers en Allemagne, ou disparus au front, et les Bretonnes qui parfois n’ont jamais vu d’hommes noirs « en vrai ». Une fascination mutuelle s’exerce alors, ce qui va bien sûr être source de conflits. Sans compter également sur les confrontations entre les différentes confessions en présence (chrétiens et musulmans).

Tout cela veut bien évidemment faire écho à une actualité socio-politique actuelle – le lecteur n’est pas dupe – mais ne sera vraiment abordé, et sans doute développé, dans la suite de Plus près de toi. A l’issue de ce premier tome en effet, on termine la phase de présentation du contexte et l’on ne peut nier ressentir une certaine frustration, mais c’est le propre des séries de donner envie d’en lire la suite. On espère donc que la deuxième (seconde ?) partie comble les espoirs de cette première en gardant le même dosage et sans verser dans le trop idyllique ni dans le trop sordide. L’exercice n’est pas des plus aisés tant il est facile avec ce type de récit de sombrer dans le moralisme. A suivre…