Xavier-Marie Garcette présente Trévizac

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Trévizac, c’est le titre du dernier roman de Xavier-Marie Garcette, auteur qui, n’ayant pas eu la chance de réaliser ses aspirations littéraires plus tôt, compte désormais rattraper ce retard avec célérité. Sous-couvert de thématiques sociales qui résonnent étrangement avec l’actualité, l’intrigue décrit la relation qu’entretien un orphelin avec sa grand-mère issue d’une noblesse décatie.

Le château de Trévizac

Au sein de ce deuxième roman publié, l’ancien banquier qui réalise aujourd’hui son rêve de jeunesse, dresse le tableau d’une famille aussi restreinte qu’atypique. Pourtant, admirablement décrite, elle peut sembler aux lecteurs, presque familière. Jean, orphelin depuis son enfance vit dans un château avec Madeleine, sa grand-mère, personnage aussi attachant que haut en couleurs. Cette grande dame, qui malgré les épreuves traversées conserve une joie de vivre infaillible, s’attache à lui inculquer les valeurs humaines qui le construiront jusqu’à son passage à l’âge adulte. Cet ouvrage, empli de rebondissements inattendus, captive aussi aisément qu’il questionne sur des sujets de société qui parsèment l’actualité.

Interview de Xavier-Marie Garcette

Un jour d’averse diluvienne, dans le tumulte du prestigieux café Les Éditeurs, situé au cœur du quartier latin de la capitale, nous avons donné rendez-vous à Xavier-Marie Garcette pour tenter de comprendre ce qui l’a mené à imaginer cette histoire rocambolesque. Rencontre avec l’auteur.

Pouvez-vous brièvement raconter votre parcours d’auteur ?
Mon aspiration à écrire des livres n’est pas venue tout de suite, même si je dirai que j’ai toujours porté cela en moi. J’ai l’habitude de raconter que j’ai écrit mon premier roman à l’âge de neuf ans. C’était un monument de la littérature absolument passionnant [rires]. Il s’intitulait « Les aventures de Noumi et Floky » et racontait l’amitié entre un chien et un chat. J’avoue que j’ai perdu le texte depuis très longtemps [rires].
Je suis plutôt un littéraire de goût et de formation. Malgré un bac scientifique, j’ai ensuite suivi une prépa littéraire avant une licence, puis une maîtrise, de Lettres Classiques à la Sorbonne. Une fois le diplôme obtenu, il fallait envisager de faire quelque chose de sérieux dans la vie. J’ai alors passé le concours d’entrée de deuxième année de l’ESSEC.
J’avais un grand rêve qui consistait à vouloir travailler dans le milieu de l’édition. Tout le monde m’avait pourtant prévenu que c’était un secteur assez fermé. J’en ai fait l’expérience. Comme il fallait bien gagner sa croûte, je me suis retrouvé dans la banque et les produits financiers par les hasards de l’existence.
J’avais quand même toujours cette fibre littéraire qui me titillait mais en même temps avec une vie professionnelle bien remplie à laquelle s’ajoute une vie de famille, il m’était compliqué de m’investir dans cette voie. Ma première tentative de littérature publiable remonte à une trentaine d’années, lors d’un concours de nouvelles auquel j’avais participé. J’avais choisi de raconter une histoire qui était en quelque sorte le négatif de Trévizac. Je m’en suis rendu compte après coup, en y repensant.
Je m’inspirais d’une vieille dame que je connaissais. Elle était un peu désespérante puisqu’on pouvait se dire, qu’a priori, elle avait quand même beaucoup de choses pour être heureuse sauf qu’elle avait en elle une espèce d’incapacité à l’être. Vous avez des vieilles dames qui sont ravies qu’on leur rende visite mais celle-ci se sentait trop esseulée. Ma nouvelle racontait l’histoire d’une personne âgée qui avait, elle aussi, tout pour être heureuse mais qui était néanmoins tellement grincheuse que finalement elle avait fini par organiser le vide autour d’elle. Trente ans après, c’est en repensant à cela que je me suis dit que ce serait plus intéressant d’envisager l’histoire symétrique. Celle d’une dame qui n’a pas nécessairement eu la vie facile, qui au contraire a été sacrément constellée d’épreuves, mais qui malgré cela sait faire preuve d’un dynamisme, d’une ouverture aux autres, qui fait qu’elle porte en elle une joie de vivre rayonnante et contagieuse.

C’est donc ainsi que Trévizac a germé dans votre esprit ?

Cela m’a toujours fasciné de constater à quel point il n’y a pas de rapports objectifs entre ce qui pourrait paraître, en analyse froide, une vie heureuse ou malheureuse et la propension au bonheur pour les gens. Ce paradoxe entre quelqu’un qui a tout pour être heureux mais qui passe son temps à se plaindre et, au contraire, ces individus pour lesquels on se dit qu’ils ont une manière de faire face à l’existence, malgré tout ce qui leur est arrivé, qui suscite l’admiration C’était vraiment ça le fond du sujet que j’avais envie de mettre en scène.

Il est vrai qu’à part certains éléments qui prouvent que votre roman n’est pas une autobiographie, on pourrait parfois s’y méprendre. Quelle est la part autobiographique dans votre ouvrage ?

Ça a été ma grande surprise. Absolument tout le monde m’a dit que cela ressemble à une autobiographie, ce qui pourtant n’est absolument pas le cas. Pour l’anecdote, mon père a quatre-vingt-seize ans et compte tenu de son âge il commence assez joyeusement à pédaler. La dernière fois que je lui ai rendu visite, comme il ne lit plus et ne regarde même plus la télévision, j’ai eu l’idée de lui proposer de lui faire la lecture de mon dernier roman. J’ai d’ailleurs été très surpris de remarquer qu’il me regardait avec une concentration dont je ne le pensais plus capable. Manifestement, il suivait. Au bout d’une demie heure, je marque une pause et lui demande : « Ça va ? Ça t’intéresse ? On continue ? ». À cela il me répond : « Ah oui ! Ça m’intéresse beaucoup ton autobiographie ! ».

J’en suis resté un peu scotché et lui ai rétorqué : « Écoute papa, je crois que tu es assez bien placé pour savoir que, déjà, je ne suis pas orphelin et que je n’ai pas été élevé dans un château du Limousin. C’est un roman, tu vois bien que ce n’est pas du tout une autobiographie. » Il ne voulait pourtant pas en démordre. Je n’ai pas insisté davantage.

La trame des événements est totalement imaginaire. Bien entendu, comme tout écrivain, il y a des tas d’anecdotes qui sont inspirées de ce que mon entourage, ou moi-même, avons pu avoir l’occasion de vivre.

Le passage sur les chaussures rouges d’Irina par exemple. Dans mon premier job il y avait une secrétaire ukrainienne qui travaillait en intérim et qui tentait d’obtenir le statut de réfugiée politique. C’était, bien évidemment, avant la chute du mur de Berlin. C’est elle qui m’avait relaté cette histoire que je trouvais assez cocasse. Elle m’avait raconté cette paire de chaussures rouges qui l’avait fascinée dans une vitrine. Elle était rentrée dans le magasin, avait demandé à les essayer, mais il ne restait qu’une paire qui était trois pointures au-dessus de la sienne. Pourtant, elle les avait quand même achetées. Cela m’avait paru complètement délirant mais c’était avant tout lié au contexte social et économique des pays de l’ex-bloc soviétique.

Justement, au chapitre 39 on ne peut s’empêcher de penser à l’actualité de ces derniers mois. Votre chapitre devait certainement déjà avoir été écrit avant que l’Ukraine ne revienne au centre de l’actualité. Cependant, pourquoi avoir choisi un personnage originaire de ce pays plutôt que d’un autre de l’ex-Union soviétique ?

C’est totalement fortuit. Dans mon roman Irina est Ukrainienne parce qu’effectivement j’ai repensé à cette fille que j’avais rencontré il y a une trentaine d’années.

Votre ouvrage traite principalement, du moins dans sa première moitié, de la relation d’un garçon avec sa grand-mère. Qu’en est-il de votre histoire personnelle ?

J’avais surtout une grand-mère avec laquelle j’avais une relation assez forte. Avec mes parents, nous habitions en région parisienne et mes grands-parents maternels étaient installés dans le nord. Lorsqu’on leur rendait visite, mes parents se sentaient obligés de faire la tournée des oncles et tantes à chaque fois. Moi, j’avais le grand bonheur d’être malade en voiture, ainsi ils m’épargnaient tous ces trajets. Mon grand-père était un grand tireur à l’arc comme il y en a beaucoup dans le nord. Il passait ses après-midis à s’exercer. Je me retrouvais alors tout seul avec ma grand-mère. Je garde en effet un souvenir très vif de cette relation qu’on avait établi. Quand tout le reste de la famille vaquait à droite à gauche, une certaine intimité et complicité s’était installée entre nous. J’adorais lui demander de sortir ses boîtes à gâteaux pour les photos qu’elle y rangeait.

Toutefois, je ne me suis pas tant que ça inspiré d’éléments de mon enfance pour le personnage de la grand-mère. Madeleine emprunte peut-être quelques traits de la grand-mère dont je parle mais à côté de ça elle n’était pas vraiment une dame rigolote. Elle n’avait pas eu une vie très amusante, était marquée par les épreuves et n’avait pas une grande envie de rire. Néanmoins, sa tendresse et son affection m’ont profondément marqué.

Le personnage de Madeleine ressemble, par certains aspects, à ce que ma propre mère a pu donner en tant que grand-mère. Il y a aussi une arrière-grand-tante qui était une dame pour qui j’éprouvais beaucoup d’affection et d’estime parce qu’elle avait eu une vie extrêmement austère. Elle était clouée chez elle avec une scoliose tellement forte qu’elle était véritablement bossue et courbée. Elle était incapable de lever la tête et cela l’empêchait de sortir dans la rue puisqu’elle ne voyait pas à plus d’un mètre. Je l’aimais beaucoup parce qu’elle ne se plaignait strictement jamais et se montrait extrêmement ouverte au monde et curieuse. C’était vraiment une personne étonnante. La construction du personnage de Madeleine est finalement un puzzle en quelque sorte.

Votre livre est une véritable ode au respect des personnes âgées pour ce qu’elles continuent à apporter malgré la vieillesse. Que diriez-vous sur la condition des seniors dans notre société ?

En filigrane c’est effectivement l’un des grands sujets du roman. Comme pour l’Ukraine je ne pouvais m’imaginer, au moment où je l’ai écrit, que le débat de société actuel qui démarre sur l’euthanasie allait trouver un écho dans mon ouvrage. Je trouve que d’une manière générale notre société me fait peur. Que signifie une vie digne d’être vécue ? Qui en décide ? Le film Soleil Vert est repassé à la télévision il y a peu. Je redoute beaucoup une évolution de la société qui, sous-couvert de bien-être et de bons sentiments, puisse se montrer extrêmement cruelle envers les individus dont on estime qu’ils sont un poids socialement parlant.

Aujourd’hui, de moins en moins de personnes accueillent leurs parents diminués chez eux. On les confie aux EHPAD et on regarde plus loin.

Vous abordez également plusieurs autres thématiques à dimension sociale qui, aujourd’hui encore, suscitent de nombreux débats. Ces thèmes (fin de vie, handicap, stérilité et adoption, …) vous tiennent-ils particulièrement à cœur ? Pourquoi ?

Je serais tenté de dire que pour moi tout ça ne fait qu’un. C’est-à-dire que je suis extrêmement sensible au sort que l’on réserve aux plus faibles et aux plus fragiles quels qu’ils soient. Je dirais que je ne fais pas de différence entre le sort que l’on réserve aux trisomiques ou aux personnes âgées. Pour moi, cela relève du même état d’esprit. Celui de la place qui est donnée aux plus fragiles dans nos sociétés. Est-ce que vous réalisez quelle violence c’est pour un homme ou une femme trisomique d’entendre et de comprendre que, pour certains, on préfèrerait les tuer dans le ventre de leur mère ? C’est horrible d’avoir à réaliser cela. Cela veut-il dire que leur vie n’a aucune valeur ?

J’ai horreur de la littérature à messages. Je n’écris pas pour faire passer un message mais pour raconter des histoires qui me touchent en premier lieu et dont j’imagine qu’elles pourront alors en toucher d’autres. Il est vrai qu’en même temps à travers ces histoires, je ne peux m’empêcher d’essayer, consciemment ou inconsciemment d’ailleurs, de transmettre ce à quoi je crois.

Votre roman est plein de rebondissements. On imagine peut-être aux premières pages une histoire cousue de fil blanc mais pourtant il n’en est rien. Connaissiez-vous déjà tous les éléments de l’histoire avant de commencer l’écriture ou bien avez-vous improvisé certains rebondissements ?

C’est une question intéressante. Très sincèrement, il y a en effet une très large part d’improvisation. Trévizac est mon troisième manuscrit si l’on compte celui que j’avais commencé il y a une vingtaine d’années mais que je n’ai pas mené à son terme. J’ai, par ailleurs, perdu le manuscrit. Depuis Trévizac j’en ai écrit deux autres et je viens d’en commencer un troisième. Je me rends compte qu’à chaque fois c’est la même chose. Je pars sur une idée, j’écris un semblant de synopsis et puis après l’histoire s’impose d’elle-même finalement. En général, lorsque j’écris la première ligne je sais où je vais à peu près sur la moitié et ensuite l’imagination fait le reste et certaines choses me semblent alors un peu s’imposer d’elles-mêmes.

J’avais toute l’histoire de la grand-mère et de son accident en tête dès le départ mais pour la suite je n’en suis pas sûr. Ce qui est écrit dans l’épilogue, c’est un peu ce qui m’est arrivé.

Si je comprends bien, un prochain roman est déjà en préparation ?

Oui et même plus qu’en préparation. Le roman suivant est une biographie romancée de Francis Poulenc. Il se trouve que je vis dans le Quercy, à côté de Figeac, où se trouve Rocamadour. Francis Poulenc était très lié à Rocamadour puisque c’est là-bas qu’il s’est converti en 1936. Je considère que c’est non seulement un musicien de premier ordre en France, il y a un musée à son nom à Rocamadour. Mais il s’avère également que les hasards de l’existence m’ont amené, à une époque où j’étais banquier, à devenir le mécène d’un concours de piano international Francis Poulenc qui était organisé à Brive-la-Gaillarde. C’est à ce moment-là que j’ai découvert ce compositeur. C’est une personnalité assez étonnante, très attachante. Il est à la fois tout et son contraire. Très parisien et adorant la campagne, très mondain et en même temps capable de s’enfermer dans sa maison pendant des semaines.