Simone Veil, côté famille, versant Histoire

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Figure tutélaire de la République française, Simone Veil est longtemps restée une politicienne avant d’être une femme au parcours tragique et héroïque. Dans Simone Veil et ses sœurs, Pascal Breton et Stéphane Lemardelé mettent en lumière la vie de cette femme admirable à travers sa relation avec sa famille bouleversée par l’orage de l’Histoire.

Une famille brisée par la guerre

La soeur de Simone Veil avant le départ
La soeur de Simone Veil avant le départ

Simone Veil et ses sœurs débute par une scène heureuse : la famille Jacob profite avec insouciance des vacances d’été sur une plage méditerranéenne. Le père, architecte reconnu et ancien combattant décoré, est venu à Nice pour profiter du boom immobilier. La mère a abandonné ses études pour élever ses trois filles et son garçon. Simone Veil se remémore de ces moments joyeux à la fin de sa vie avec sa sœur Denise Vernay lors de leurs traditionnels dimanches entre sœurs.

En tournant la page, le lecteur est frappé au cœur en basculant dans l’enfer des camps de concentration. Simone Veil et ses sœurs suit la fratrie au début de la guerre quand les enfants vivaient avec leurs amis dans la campagne près de Carcassonne. Le père naïvement croit aux paroles de Pétain et fait dès l’armistice revenir sa famille alors que des amis partent en Angleterre. Vivant sans « la zone d’occupation italienne », on comprend la différence entre l’occupation fasciste et l’arrivée des Allemands en 1944. Cette venue est une révélation pour le père et marque une première rupture dans la famille. Denise doit rester au camp scout et ne reverra plus sa famille avant la Libération. Elle choisit la clandestinité de la résistance. A Nice, Simone passe le bac mais le lendemain elle est arrêtée et conduite ainsi toute sa famille vers les camps.

Simone Veil et ses sœurs ne montre pas tout. Le contexte de la montée de l’antisémitisme passe par le dialogue entre les deux sœurs. On peut d’ailleurs signaler que le dessinateur Stéphane Lemardelé avait des réticences à dessiner la Shoah. Pour montrer les multiples carrières des sœurs Jacob, le dessinateur joue sur la diversité des couleurs. Chaque période a une teinte dominante et une inspiration différente. Suivant la ligne claire d’Hergé mais avec un filtre rappelant l’usure des anciennes cartes postales, il choisit des couleurs vives pour l’enfance. Au contraire, le passage de la résistance de Denise est illustré par une teinte verte rappelant les uniformes de la Wermacht.

Un récit de la reconstruction

La sonorité de Simone Veil
La sonorité de Simone Veil

Pascal Breton a déjà écrit une biographie en bd sur Simone Veil ayant obtenu un grand succès. Dans Simone Veil et ses sœurs, il revient sur cette grande figure française à travers un autre regard : celui de sa relation avec ses sœurs. Dans ce but, il se base sur le livre de l’historienne Dominique Missika et s’intéresse à l’après-guerre : comment reviennent les rescapé.e.s des camps. Alors que le pays se reconstruit après les destructions de la guerre, la famille Jacob (le nom de jeune fille de Simone Weil) est encore détruite par la guerre. Les hommes de la famille sont morts dans les camps ainsi que la mère. Le traumatisme est si fort que les sœurs Jacob ne savent plus profiter de la joie. Simone n’arrive plus à dormir dans un lit. Les Français sont lassés de la guerre et ne veulent pas entendre parler du génocide alors que les Jacob refusent d’oublier.

Dans Simone Veil et ses sœurs, Pascal Breton se concentre sur Simone et Denise. On y découvre deux déportations : Simone a été envoyée dans les camps d’Auschwitz et de Bergen-Belsen en raison de sa religion alors que Denise Vernay est arrêtée pour son engagement dans la résistance. Par le dialogue, on voit la création d’une inégalité dans la mémoire. Si dans un premier temps personne ne veut écouter les déportés, les résistants sont très vite mis en avant comme des héros alors qu’il faudra attendre des décennies pour que les déportés « raciaux » soient écoutés. Ce livre est un récit de résilience : comment se relever après tant de drames ? Cependant, les drames restent nombreux après la guerre. On peut cependant trouver les dialogues très explicites. Il n’est pas certain qu’on se dise aussi clairement les choses entre sœurs.

Simone Veil et ses sœurs, édité par La Boîte à Bulles est une biographie familiale très détaillée sans être pesante. La bande dessinée touche au cœur par le portrait de cette famille brisée par la barbarie nazie et se reconstruisant malgré les tabous de l’après-guerre. Un livre touchant est hélas encore actuel à l’heure de la guerre en Ukraine.

Retrouvez sur le site les chroniques du Storyboard de Wim Wenders du même dessinateur et une biographie de Freud se déroulant à la même période.