Pierre Bayard vous apprend à parler des livres que vous n’avez pas lus

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Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Cette question, c’est celle à laquelle répond Pierre Bayard dans ce livre publié aux éditions de Minuit. Si vous ne deviez en lire qu’un seul, ce serait celui-ci. Parmi tous les autres présents dans les bibliothèques et librairies, il est le seul à vous enseigner comment aller à l’encontre même de son essence.

Il est un fait avéré que s’il y a bien quelque chose à ne pas faire en société, c’est avoir l’air étonné. L’étonnement, c’est ce qu’il se produit sur votre visage, trahissant votre innocence, lorsque vos références ne sont pas celles du milieu dans lequel vous vous trouvez alors. Les normes culturelles sont des limites d’un environnement que l’on connait également sous le nom de code social qui évolue et varie d’un milieu A à un milieu B. Pierre Bayard déculpabilise, dans cet ouvrage, l’ignorance stricto sensu. Ne pas savoir, ne pas avoir vu, lu, entendu devient possible.

Trois concepts primordiaux de la culture littéraire selon Pierre Bayard sont mis en lumière :

  • La bibliothèque collective concerne l’ensemble des ouvrages que nous sommes sensés connaître, étant un socle commun de notre culture. Elle peut être par exemple établie par le système scolaire ou les références de chacun sur les grandes lignes de la culture
  • La bibliothèque personnelle ou intérieure, qui elle, regroupe les ouvrages que vous avez lus (mais dont vous ne vous rappelez pas nécessairement tout)
  • La bibliothèque virtuelle est la somme de plusieurs bibliothèques personnelles qui apparaissent dans les interactions entre les personnes.

Savoir parler d’un livre que l’on n’a jamais ouvert n’est pas chose aisée, et ce notamment à cause de la pression dite sociale : il faut, en plus d’un savoir parler, une petite dose de culot mêlée à un soupçon de confiance en soi. Mais alors comment faire ? Il faut s’armer d’autres éléments. Si vous n’avez pas l’envie ou le temps de lire un livre, il faut l’étudier d’une façon extérieure. On peut le juger par sa couverture, son aspect, sa 4°, une critique, un article de journal, un prix, le nom de son auteur, son adaptation cinématographique… La liste est longue mais peu importe le contenu que vous avez, ce peut autant être un document sérieux qu’une phrase lancée au hasard par un ami un jour alors que vous ne l’écoutiez pas vraiment. La clé c’est de ne pas se démonter. Et ce que démontre Pierre Bayard, c’est qu’il est facile d’avoir un avis sur un ouvrage et d’en changer la teneur (valable pour les livres comme pour tout autre sujet d’ailleurs). Ça, ça s’appelle de la manipulation de l’opinion, et heureusement pour vous, tout Homme en est doué. Le vrai plus ? Ça fonctionne vraiment, et ce a fortiori si la personne avec qui vous parlez n’a elle non plus pas lu le livre, mais demeure moins affirmée.

Dans Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, Pierre Bayard mentionne lui-même un tas d’ouvrages qu’il n’a pas lus entièrement voire même ouverts. Il classe d’ailleurs les livres en quatre catégories :

  • LI : Livre Inconnu
  • LP : Livre Parcouru
  • LE : Livre Évoqué
  • LO : Livre Oublié

Alors oui, de prime abord, un auteur qui rédige un essai sur la lecture se basant sur des livres qu’il n’a lui-même pas forcément lus, ça sent l’entourloupe. Toutefois, les vérités présentes dans cet ouvrage vous permettront non seulement d’être crédibles, mais en plus de faire accepter votre opinion indifféremment de ses fondements.

De la relation intime des livres entre eux et avec son lecteur

Pierre Bayard estime que dans le domaine de la culture, ce ne sont pas tant les idées qui importent mais les relations entre elles. De la même façon qu’un siège monté sur roulettes n’a rien d’extraordinaire tant que le moteur qui le fait avancer n’est pas installé. Il en va de même pour un livre. Ce n’est pas tant sa lecture qui importe mais bien naturellement ce qui en ressort, le message. Et ce message, il est tout à fait possible de le détenir sans avoir parcouru chaque page de ce livre. Un ouvrage en appelle souvent un autre et il n’est pleinement interprété que grâce au maniement des éléments externes au livre tels que l’histoire, l’art ou l’idéologie de l’époque en question.  C’est donc même parfois grâce aux éléments externes qu’il vous est alors possible d’entrer dans la conversation et de pointer du doigt ce que ceux qui se sont contentés de consciencieusement lire chaque ligne n’ont pas aperçu. La lecture pure et dure du texte en question importe alors assez peu si vous avez d’autres cartes à jouer. D’ailleurs, un livre peut être interprété complètement différemment d’un lecteur à l’autre sans pour autant qu’un des deux ai nécessairement tort.

Des conversations embarrassantes 

Qui n’a jamais été dans cette situation délicate où toute une assemblée partage les mêmes idées dont vous n’avez jamais entendu parler ? Pourtant, il suffit d’écouter ses comparses pour enregistrer des morceaux de conversation, qui une fois interprétés par votre cerveau vous amènent à avoir votre propre opinion sur ce sujet que vous ne connaissiez pas quelques instants plus tôt. C’est de cette manière-là que vous pouvez pénétrer dans un cercle, dans une conversation et finalement peut-être même devenir le maître de cette conversation.

L’oubli d’un contenu

Alors que Montaigne s’en inquiétait, Oscar Wilde, lui, le prêchait. Tout lecteur qui s’est démené dans les méandres de La Nouvelle Héloïse ou de l’Odyssée doit avouer qu’il a du faire un retour en arrière pour saisir un nom ou bien qu’il ne l’a pas fait et a alors seulement retenu l’idée globale. Ce sont de ces deux démarches dont il est question. La première, plus minutieuse, vous donnera tous les éléments pour avancer. La seconde fait que vous vous appropriez déjà le contenu. Oublier un contenu peut parfois devenir un élément fécond de lecture. Montaigne lui-même, lorsqu’il s’est rendu compte qu’il perdait un peu la mémoire glissait un mot ou deux sur l’idée général d’un livre sous la couverture pour pouvoir s’en rappeler le jour où il en aurait besoin, n’étant déjà plus sur le contenu même du livre, mais sur l’impression qu’il en avait.

De la critique de la critique

Ne pas lire. Oscar Wilde place ce fait (ou ce non fait) comme la source de multiplication des joies que peut provoquer la lecture. En effet, en ne s’en tenant qu’aux éléments externes au livre, on ne perd pas son idée ni ne sommes influencés. Il écrit d’ailleurs que c’est le seul moyen de faire une critique avisée d’un livre et que cette critique est la seule dont l’essence est pure. Étrange, mais quand on songe à la rentrée littéraire par exemple, il est inconcevable de penser que tous les ouvrages critiqués dans un laps de temps aussi court ont tous été lus consciencieusement. De plus, une critique penchant sur un versant de la colline peut très rapidement remonter son flanc et tomber de l’autre. Manier l’opinion est une chose facile. On peut aimer un livre pour le verbe de l’auteur, et le condamner pour les mêmes raisons la fois suivante : seule la façon de le dire importe. Il s’agit donc plus de savoir si vous savez manier la critique. Et les réputations dans un si petit monde que celui de la littérature se font… et se défont… Elle peut d’ailleurs être tout aussi biaisée que l’on peut l’adapter à son auditoire et renier alors le livre pour ce qu’il est car l’on suppose ce que l’autre pensera. La critique littéraire est donc sérieusement remise, non pas en cause, mais à sa juste place. Tout comme le rôle de l’éditeur qui a main mise sur la publication des contenus de demain.

Ce qu’il faut donc retenir de ce livre (et rien ne vous dit que je l’ai moi-même lu, ni que mon avis est le bon), c’est que la culture doit être désacralisée pour être juste. Vous êtes également libres de vous référer à vos droits imprescriptibles de lecteur via la lecture de Comme un roman de Daniel Pennac.

Et enfin, si vous n’avez pas de vacances cet été, mais que vous souhaitez être de la conversation dans le bureau, vous pouvez également acheter Comment parler des lieux où l’on n’a pas été, du même auteur, Pierre Bayard, afin de vous y préparer au mieux.

J’allais dire « bonne lecture », mais libre à vous d’en faire ce que vous souhaitez !