Le Prieuré de l’Oranger de Samantha Shannon : un bijou d’heroic fantasy

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Dans le monde de la fantasy, l’éditeur De Saxus est en train de se faire un nom. Créé par Sam Souibgui, le fondateur de Komikku, cette maison d’édition enchaîne les parutions et les succès critiques. Sa stratégie ? des livres de très belle facture, des auteur(e)s jeunes et talentueux, de l’éclectisme assumé. Symbole de cette réussite, la parution du Prieuré de l’oranger de Samantha Shannon, une fresque épique, dense, merveilleuse. Un bijou d’héroic fantasy de 1 000 pages, addictif et qui place son auteure parmi les plumes les plus douées de sa génération.

La terre des dragons

Dans Le Prieuré de l’oranger, l’humanité vit dans deux monde séparés. A l’Ouest, la maison de Berethnet règne sur l’Inys et lutte contre la menace draconique. Des reines se succèdent à la tête ce royaume garantissant l’équilibre entre les force. Mais les ennemis s’agitent à nouveau dans les ténèbres. C’est pourquoi le prieuré de l’oranger a envoyé Ead Duryan veiller sur la jeune reine Sabran. A l’Est, l’État de Seiiki et l’empire des douze lacs vénèrent les dragons. Les liens avec l’Ouest sont rares voire interdits. La mort est promise à celles et ceux qui enfreindraient cette règle. Tané a grandi avec un rêve : devenir dragonnière et chevaucher ces créatures imposantes. Pourtant, en venant en aide à un naufragé, elle met en péril son existence.

Entre ces deux continents, l’abysse d’où l’Ancien ennemi, repoussé 1 000 ans plus tôt, s’éveille. Cette force du chaos utilise la peste draconique pour corrompre les Hommes. Et tandis que ses serviteurs se répandent, une poignée d’hommes et de femmes décide de mettre fin à leur division et d’aller à la rencontre des dragons de l’Est, les seuls à même de terrasser les forces du chaos.

Le Prieuré de l’Oranger : Entre Orient et Occident

Le premier plaisir conféré par ce livre, c’est la construction de son univers. Là où l’excellent Game of thrones se limitait à un univers occidental-méditerranéen, Le Prieuré de l’Oranger embrasse cette fois-ci une grande partie de l’Ancien Monde. En effet, les terres de l’Ouest rappellent l’Occident médiéval avec ses baronnies, des châteaux, ses villes, ses ports. Nous retrouvons l’imaginaire des villes de la Baltique, de Byzance, de Venise et aussi celui du Proche Orient. L’Est en revanche évoque clairement l’Asie. D’abord, le Japon autour de l’île de Seiiki. Puis, la Chine à travers l’immense empire des douze lacs. Comme pour l’Occident, l’auteure réinterprète un imaginaire : cour impérial, palanquin, école de guerrier.

Cet univers profite d’une utilisation judicieuse de références historiques. La bataille de l’Ecluse, les peuples du Nord, les ordres monastiques, les assassins ou encore les Jacqueries donnent beaucoup de crédibilité à la partie occidentale. On aime aussi les subtiles références aux mythes arthuriens et aux religions du Livre. C’est encore plus net dans la partie orientale où l’auteure s’inspire de l’édit de Sakoku de 1635. Celui-ci édicté au Japon ferma l’île à l’influence étrangère limitant l’entrée des commerçants à une poignée de ports. Dans son roman, le même isolationnisme frappe l’île de Seiiki.

Une écriture subtile, un style virevoltant

Samantha Shannon écrit très bien. Cela se ressent dans la construction de ses personnages. Quelques lignes suffisent pour cerner leur psychologie, leurs intentions. Quelques scènes (l’intervention contre les assassins de Ead Duryan, le dévouement du fiancé de la reine) permettent de saisir la force, la noblesse, l’engagement de nos héros. Ce qui est admirable c’est que l’œuvre propose beaucoup de personnages et aucun n’est mal traité. La présence d’un glossaire en fin de livre facilite d’ailleurs l’identification. Le roman trouve en plus un équilibre parfait entre héros masculins et féminins. En évitant les stéréotypes, les discours revendicateurs, l’auteure fait fi des querelles de genre. Elle renouvelle ainsi l’héroic fantasy, comme G.R.R Martin en son temps, en parlant de héros peu importe leur sexe.

Ceci permet de relever l’immense qualité de la narratrice :  sa plume. Celle-ci excelle autant dans les moments d’action que dans les passages intimistes. Il est difficile de lâcher le livre une fois celui-ci commencé. Les rebondissement s’enchaînent, les révélations toujours inattendues et le dépaysement constant. Le lecteur saura d’ici, de là, repérer les références, les emprunts. Mais tout est fait avec un talent immense, une maîtrise du rythme et une envie d’aventure. Au point qu’à la fin du livre, le lecteur est surpris de la rapidité avec laquelle il a englouti les 1 000 pages.

Le Prieuré de l’Oranger, un roman dense

Le Prieuré de l’Oranger est un grand livre qui possède une profondeur narrative. En effet, l’œuvre fonctionne d’abord comme une fresque d’héroic fantasy épique, démesurée. Un Ennemi ancestral, des peuples désunis, la quête des héros. Tout ceci est classique mais merveilleusement, presque poétiquement réinterprété. Coup de chapeau aux traducteurs d’avoir réussi à retranscrire le style de l’auteure.

Le roman embrasse en plus des thématiques très modernes. Il parle d’abord de tolérance : entre les peuples, entre les sexes. L’homosexualité, l’amour dans toute sa diversité, sont ici traités avec simplicité et beauté. De même, le roman parle de la condition de la femme, de la mainmise du religieux, du contrôle politique à travers la superstition. La romancière se plait à écorner ces religions qui évacuent systématiquement les femmes du texte ou leur font tenir des rôles secondaires. Elle questionne la question de l’écriture de l’histoire, de la falsification de la mémoire.  Mais Samantha Shannon évite tout militantisme. Elle n’oppose jamais les Hommes et les Femmes. Elle livre simplement un roman où Hommes et Femmes tiennent des rôles aussi importants.

Le Prieuré de l’Oranger s’affirme déjà comme un classique du genre. Pour celles et ceux qui seraient effrayés par les 1 000 pages de l’édition originale, une version en plusieurs tomes est désormais disponible en livres de poche. 

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