L’ascension du sultan Erdogan

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Tous les regards sont tournés vers la Russie mais ce n’est hélas pas le seul pays autoritaire. En Turquie, le président Erdogan bouleverse la démocratie par un islam politique mais comment a-t-il forgé ces idées ? Can Dundar et Anwar proposent chez Delcourt, une biographie pour comprendre son ascension.

Deux auteurs pour un homme politique

Comme dans Et Dieu dans tout ça, l’introduction d’Erdogan est un récit sur la construction de la bd. Le scénariste Can Dundar et le dessinateur Jbr Anwar sont deux exilés politiques. Ils ont un projet très ambitieux : montrer le danger d’Erdogan pour le pays. Can Dundar adopte une démarche de journaliste. Une assistante, Gizem, fait les recherches et collecte les témoignages. Par le choix d’un scénario classique, le livre très pédagogique est fait pour que les Occidentaux comprennent qui est Erdogan, d’où il vient et quelles sont ses idées. Cette rigueur se retrouve dans le dessin par le réalisme des visages, le décor très épuré et le choix du noir et blanc qui ne distrait jamais le spectateur.

L'entrée en politique d'Erdogan

Le portrait à charge d’un homme : Recep Tayyip Erdogan

Erdogan cherche à répondre une question : comment un homme politique réactionnaire et très religieux s’est-il imposé dans un État laïc voulant se connecter à la réalité ? La première partie de la réponse tient à la biographie d’Erdogan. Cette accession politique aurait d’abord des causes psychologiques. Recep est un enfant des rues habitué à toutes les combines mais qui va à l’école coranique. Sa technique de foot révèle son tempérament politique : déterminé et travailleur. Son père est exigeant et violent : Erdogan doit très jeune travailler après l’école et suivre des cours de religion. Passionné de foot, il rentre dans un club professionnel qui le paye pour pouvoir financer ses études. Il rejoint un parti conservateur anticommuniste à quinze ans où il se fait repérer par sa récitation de poèmes. On découvre ensuite sa femme qui aurait eu une révélation mystique en rencontrant Erdogan. C’est d’ailleurs par les femmes qu’il obtient des succès politique.

En effet, Erdogan n’est pas simplement un conservateur mais il innove en intégrant les femmes dans son parti. Elles servent de relai local et illustre son double discours : elles sont voilées dans les quartiers conservateurs et tête nue dans les quartiers plus ouverts. Erdogan ne se contente pas de places fortes dans les mosquées mais il va chercher les voix partout même dans les lieux immoraux. On sent l’engagement par la mise en évidence des lacunes de la biographie officielle d’Erdogan. Son père divorcé a abandonné sa première famille. Le jeune leader est un joueur de foot surévalué gardé dans l’équipe pour sa piété. Il a truqué les élections de jeunesse interne dans son parti.

Le portrait d’un pays : la Turquie

L'Islam politique dans Erdogan

On suit les hauts et les bas de la carrière politique d’Erdogan en fonction du contexte national et international. Les auteurs profitent de l’entrée en politique d’Erdogan pour présenter la construction de l’islam politique : en réaction à l’occidentalisation, des partis vantent la religion et le retour à une tradition inventée. Ces idées viennent du mouvement des Frères musulmans en Égypte et se développent lors de la première guerre en Afghanistan. Cependant, l’utilisation de la religion en politique heurte le principe de base de la Turquie : la laïcité. Le lecteur voit alors comment Erdogan va pierre après pierre ébranler ce principe jusqu’à son élection comme président de la Turquie. Le lecteur français comprend que le développement de lycée de prédicateur a formé cette élite conservatrice au pouvoir aujourd’hui. La pendaison d’un Premier Ministre a choqué un pays mais elle a ouvert un cycle de violence. La jeunesse des années 1960 est divisée entre communistes et islamistes. Cette opposition des idées bascule dans une violence de rue. Au-delà de la politique, on pénètre dans aussi une société.

Erdogan est une réussite tant sur la biographie d’un chef charismatique et conservateur que par le portrait d’un pays. Les textes courts sont faciles à lire malgré la précision des informations. On peut cependant voir un paradoxe : la rigueur de journaliste est contradictoire avec le but politique.

N’hésitez pas lire les chroniques sur d’autres récits engagés en bd : Res Publica et Sorcières, mes sœurs.