La bête, le marsupilami de Frank Pé et Zidrou

0
610

Et si un Marsipulami était arrivé en Belgique dans les années 50 ? C’est l’hypothèse que posent Frank Pé et Zidrou dans le premier tome de La bête publié par Dupuis.

Une bête unique aux abois

Une ambiance entre horreur et enfance

De nuit et sous la pluie, un bateau vient d’arriver sur un quai désertique d’un port de la côte belge. Deux propriétaires viennent récupérer leur marchandise cachée en contrebande. Ils sont guidés par le capitaine dans la cale. Hélas, une avarie a retardé l’arrivée du bateau et les animaux exotiques commandés sont pour le plupart morts.  Pour chercher les animaux survivants, le trio inspecte à la lampe torche containers et cages éclairant les ténèbres ambiantes pour révéler des cadavres d’animaux. Seul un Marsipulami a survécu mais il arrive à fuir. Comme dans un film d’horreur, le titre s’imposant sur une double page arrive. Ce début du récit est très réussi car il impose une ambiance lugubre et la suite du premier tome nous raconte comme cet animal tropical va tenter de survivre dans un plat pays très froid.

En effet, le récit prend place dans une Belgique encore marquée par la Seconde Guerre mondiale. La pauvreté est forte et la faim encore présente. La collaboration pourtant très présente est devenue honteuse et mademoiselle van den Bosche est rejetée car elle était tombée amoureuse d’un allemand. Son fils François est harcelé par ses camarades de classe car il serait né de cette relation honteuse. Pour illustrer ce contexte, Zidrou n’hésite pas à montrer la violence des enfants entre eux mais les adultes sont tout aussi insensibles. Le thème de la reconstruction est au cœur de l’histoire. On voit comment une famille se reconstruit en parallèle à l’essor d’un pays et la tentative de survie du Marsupilami. François va trouver le pauvre Marsupilami affamé et presque mourant. Il va le recueillir car il voit en lui un ami alors que les adultes fermés ne pensent qu’au danger représenté par cet animal colérique.

Un récit nostalgique

Ce livre est aussi un hommage à la créature créée par Franquin et plus généralement à la série bd franco-belge des années 50 et 60. Par exemple, le nom du capitaine du navire, Tillieux, est un hommage à un célèbre dessinateur du journal Spirou. Pour bien montrer cet ancrage belge, les dialogues ont recours à des expressions populaires en wallon et en flamand. Si c’est instructif, ce choix éloigne la lecture d’un caractère universel.

On ressent aussi cette nostalgie par le choix du cadre historique en particulier dans la présentation de l’école des années cinquante. Monsieur Boniface, instituteur moderniste, se heurte à son directeur aigri et conservateur en montrant un film de Chaplin. Il veut pourtant aider les enfants à apprendre en les rendant heureux. Comme dans l’élève Ducobu, on peut trouver cette démonstration du bien-être à l’école dépassée et lourde par des dialogues démonstratifs. En effet, seul le professeur Boniface est touché par la souffrance de François et il est même un amoureux transi de la mère d’un de ses élèves.

La Bête : Un dessin magnifique de Frank Pé

Un début glaçant

Le dessin de Frank Pé sert admirablement le récit. Au début, l’ambiance glaçante des cadavres réalistes d’animaux contrastent avec la rondeur des visages très bd franco-belge classique. Le lecteur perd alors ses repères : est-il dans une bd jeunesse ou adulte ? Tout ce récit est enchâssé dans une édition luxueuse qui se marque dès la couverture avec un titre en relief et un format original carré. Ce format permet au dessinateur de composer de très grandes cases comme une image en cinémascope.

Ce premier tome d’une réinvention des origines du Marsupilami est un splendide ouvrage par le talent d’un dessinateur unique. Le lecteur prend le temps d’admirer l’œuvre de Frank Pé qui emmène cette histoire classique vers une grande sensibilité. Le volume se concluant sur l’image de la niche vide de l’animal, le lecteur a hâte de savoir si le Marsupilami va survivre.