Le scénariste Christophe Bec ébranle la bd dans Carthago, un monde où de gigantesques créatures préhistoriques reviennent. Toujours chez Les Humanoïdes Associés, il plonge dans le passé en compagnie d’un Mégalodon.
Les véritables dents de la mer
Jusqu’à présent, l’univers de la série Carthago était situé dans un futur proche ravagé par la folie humaine. En 2029, le monde a subi une série d’explosions nucléaires provoquant l’effondrement des sociétés. De plus, des animaux préhistoriques arrivent des profondeurs. Dans Mégalodon, le scénariste prolonge cette idée en remontant dans un passé bien plus ancien : l’ère du Miocène, il y a 21 millions d’années. Ce hors-série suit un ancêtre de nos requins actuel mais dans une version XXL.
En effet, selon les découvertes actuelles des paléontologues, le mégalodon était le plus grand carnivores des océans. Christophe Bec suit un jeune mâle désirant devenir chef de meute. Il est ambitieux et veut choisir sa femelle pour s’accoupler. Pour cela, il doit affronter l’actuel leader, plus violent et rusé : « le balafré ». Surpris par ce chef expérimenté, il est contraint à s’exclure du groupe. Les premières pages montrant les multiples dangers pour la meute, on se demande comment il pourrait s’en sortir sans aucun soutien ?
Mégalodon dévoile également la vie de ces ancêtres des requins. On découvre la vie sociale et les déplacements de la meute, les techniques de chasse mais également les constantes menaces comme cette baleine carnivore : le livyatan. Le texte insistant sur les sensation du mégalodon révèle les caractéristiques biologiques de l’animal. Il cicatrise très vite. Le lecteur comprend que l’animal se repère par électroréception, sentant par sa peau les déplacements de l’eau. Plus globalement, les images décrivent la faune marine du Miocène comme les eurhinodelphis, des dauphins avec des mâchoires d’espadons.
Dans l’océan, on ne vous entend pas crier
Déjà auteur de deux séries à succès chez Les Humanoïdes Associés, Sanctuaire et Carthago, Mégalodon est également une prouesse scénaristique de Christophe Bec.
En effet, le scénariste se refuse d’humaniser le prédateur. Il n’y a pas de nom mis à part le balafré. Le mégalodon au centre du récit est doté d’émotion et lecteur s’attache. Le mâle veut venger sa génitrice. Ambitieux, il attend son heure pour prendre le pouvoir. Il n’est jamais séduit pas la beauté des océans mais, en dehors de la rencontre avec ses congénères, il ne voit que deux choses : des proies ou des menaces. Courageux, il ne fuit pas le combat malgré une blessure mais, ne cesse de subir des attaques. Seul, il doit trouver des proies inédites
Le plus impressionnant est le choix qu’une grande partie de la bande dessinée se passe sans dialogue. Le dessinateur Paolo Antiga a donc un rôle encore plus grand. Si la mise en page a été en partie conçue par Christophe Bec, c’est par son talent que l’on distingue les différents mégalodons. Le voyage du mégalodon est une technique pour décrire la biodiversité de Miocène. Suivant les dérives du mégalodons, Paolo Antiga propose de multiples espèces dans des paysages très variés. Il s’éclate dans les cases très grandes ou allongées. Un combat entre deux animaux a l’intensité d’une lutte de super-héros.
La plus grande partie du récit se déroulant sous l’océan, le rôle de la coloriste Andrea Meloni est également déterminant. Elle réussit à garder des couleurs réalistes tout en rendant chaque image très lisible. Pour représenter les animaux dans les océans, elle multiplie les nuances de bleu allant parfois jusqu’au gris. Régulièrement, ces pages bleutées sont zébrées de trainées rouges démontrant la violence des combats. L’immersion dans le récit est facilitée par le grand format. La double-page de la chasse des mégalodons devient alors encore plus redoutable. L’effet métallique sur le titre rappelle aussi les écailles du requin.
La plus grande partie de Mégalodon montre un individu s’affirmant en solitaire comme un leader. La morale serait que quelque soit l’espèce, la survie est l’essentielle. La surprise est alors encore plus grande dans les dernières pages. Le combat darwiniste laisse la place à une scène sur l’origine du requin de Carthago.
Retrouvez deux autres chroniques dans l’univers de Carthago : Courbée, je me redresse et Abzu.