En cette période de crise politique en France et de multiples conflits à l’étranger, vous rêvez de quitter le monde voire de vivre sur une île déserte ? Lire avant Galápagos pourrait vous éviter de faire une grosse bêtise…
Une aventure incroyable dans les Galápagos
Le scénariste, dessinateur et coloriste Michaël Olbrechts débute son deuxième livre publié en France par un prologue situé en 1934. Sur une île sans végétation, un navire Le Velero découvre un navire échoué avec deux corps méconnaissables. En effet, ils sont morts depuis si longtemps que les corps se sont momifiés. Le lecteur débute par le désastre (sans reconnaître les victimes) puis on remonte aux origines par différents chapitres chronologiques.
On revient en effet sur une autre île déserte de l’archipel des Galápagos en 1929. Floreana offre un paysage paradisiaque : une flore et une faune abondante. Accostant, Friedrich Ritter et Dore Strauch choisissent de quitter la société. Friedrich est un idéologue : passionné de Nietzsche, ce médecin cherche à devenir le premier surhomme promis par le philosophe. Ce rêve de puissance est en lien avec son passé pendant la Première Guerre mondiale. Il a tout sacrifié pour ce projet et a même quitté sa femme Mila. Il est accompagné par Doré qui est au service du rêve d’un homme qu’elle admire. En attendant de réaliser son rêve, Friedrich Ritter veut montrer qu’il peut vivre en autonomie, libéré de la mentalité de troupeau. Le couple cultive ses plantes mais la nature n’est pas généreuse et est un obstacle.
Or, ce projet se complique rapidement. En effet, le corps de Dore peine à suivre. Atteinte d’une sclérose en plaque, elle a du mal à avancer. En Allemagne, Heinz Wittmer est séduit par l’image que les médias donnent de ce mode de vie si singulier. Il pousse son épouse enceinte Margret à rejoindre l’île en 1932. Malgré l’opposition de Friedrich refusant de les assister, ces nouveaux venus s’installent. La cohabitation déjà tendue devient un huis-clos burlesque et macabre quand la baronne autoproclamée Eloise Wagner de Bousquet arrive avec ses deux amants Rudolf et Robert. La tension monte passant de la colère à la guerre. La baronne est armée en permanence et veut annexer Floreana. Sans tout dévoiler, l’utopie verse dans le polar.
Une histoire vraie
Dans la dernière page, les photos des personnages principaux montrent que Galápagos s’inspire d’une histoire vraie et tout au long du livre des informations précises sont disséminées (des dates, des noms, des lieux). Il faut dire que l’aventure solidaire de Friedrich a eu beaucoup d’écho. Il conservait un lien avec son pays d’origine par le passage régulier d’un paquebot. Le capitaine Hancock informant donc l’Allemagne, ce projet trouve un écho fort. Les journaux écrivent des articles mais ne comprennent rien au projet de Friedrich. Ils sont vus comme des sauvages avec des mœurs de libertins. Des curieux viennent observer ce retour aux origines.
Ayant suivi des études d’histoire, Michaël Olbrechts a été séduit par le lien entre l’histoire de ces individus et l’Histoire mondiale. Pour ses recherches, il a effectué des recherches dans les archives à partir des images et des témoignages des survivants, des journaux de l’époque et des récits des scientifiques sur Floreana d’aujourd’hui. Les départs des différents personnages sont aussi liés au contexte de l’Allemagne : la crise économique de 1929 frappe le pays rendant ce désir de quitter la société attirant.
Cependant, Michaël Olbrechts trouve dans ce basculement personnel la matière au drame. En effet, la vérité sur de l’« Affaire des Galápagos » fait l’objet de nombreuses controverses car chaque survivant a délivré une version différente. De plus, le scénariste ne vise pas la vérité historique. Il a d’abord été séduit par des personnages « bigger than life » et l’ambiance de vieux film d’aventure.
Le dessin de Michaël Olbrechts est à l’exact opposé du propos sombre de Galápagos. Sans alourdir la lecture, les détails sont nombreux en particulier sur les animaux. Alors que les Robinsons veulent domestiquer la nature, Olbrechts la magnifie par plusieurs cases sans parole mais juste le paysage. Le plus impressionnant est la très belle colorisation à l’aquarelle. Olbrechts recourt rarement à des plages de couleurs pour proposer des nuances subtiles. Il allie couleur en aquarelle et des ombres au crayon gris.
Avec ce récit complet, Michaël Olbrechts réussi une alliance entre un roman graphique autour d’une période clé et une bande dessinée d’aventure franco-belge portée par des personnages drôles. Justement récompensé par le Prix de la bande dessinée Fnac 2024 en Flandres et grand succès public, Galápagos est édité par La Boîte à Bulles, une maison d’édition réussissant à proposer des titres réussis comme Éléments de langage et Un chien hurlant.