Les éditions Delcourt poursuivent la rééditions des œuvres de Daniel Clowes avec Caricature. Ce recueil de neuf nouvelles montre à nouveau la diversité des talents du récent primé du festival d’Angoulême.
De multiples regard sur le monde
Caricature prouve que Daniel Clowes maîtrise la structure des récits brefs. Si les moments pathétiques sont nombreux, Clowes est moins systématiquement cynique et sinistre mais joue sur la variété de tons. La première nouvelle débute positivement et une rencontre semble confirmer la progression du personnage mais se révèle désastreuse. Obsédé par les visages, le dessinateur Mal Rosen fait le tour des salons en proposant des caricatures. Il donne son maximum pour progresser et satisfaire les clients. Il tient également un journal qu’il destine à devenir un guide pour les autres caricaturistes (et qui sert de narration à l’épisode). On rentre dans le concret du dessinateur comme les blessures à la main en fin de journée. Cependant, Mal vit dans un paradoxe : les clients lui demandent d’exagérer leurs traits du visage mais, s’il le fait, le client est vexé et ne paie pas.
Dans la deuxième nouvelle, le personnage principal porte un regard plus sévère sur lui-même que sur les autres : il s’en veut de se moquer de son coloc qui est pourtant raciste et homophobe. Rodger Young est un ado punk dans une ville en crise et alors que le mouvement connaît sa fin. Le troisième récit – La maman adorée – est plus fantastique : en rentrant (pieds nus) d’un rendez-vous chez le coiffeur, un homme retrouve le bureau occupé par son père mais abandonné depuis des décennies. Pourtant, rien n’a changé. Il vit ensuite des aventures de plus en plus absurdes.
À, l’opposée de cette structure fine, la quatrième récit de Caricature me paraît inventé au fil du dessin. MCMLXVI suit un jeun réac’ élitiste, misanthrope et nostalgique de l’année 1966. Son constant refus de voir le monde changer amuse le lecteur et devient même troublant : que s’est-il passé l’année de sa naissance pour qu’il ne voit aucun progrès depuis ? La dernière nouvelle – Black Nylon – est une histoire de super-héros à la sauce Clowes. Sans emploi, un homme sort costumé mais personne ne le remarque. Il se fait soigner chez une psy qui ne souhaite plus le voir.
Une vision d’auteur
Malgré des dates de création différente, je trouve des liens entre les récits de Caricature et au sein de l’œuvre de Daniel Clowes. La musique est un important signe de distinction : le punk rock distingue les rebelles de la masse consumériste ou des abrutis préférant le rock fm. Chaque récit est une tranche de vie racontée à la première personne. Les dialogues paraissent le plus souvent dénués de profondeur mais révèlent la bassesse ou plus rarement le courage de ces individus. Ils sont dépressifs, souffrent d’un manque affectif et sexuel. Ils n’ont plus de contact avec leur famille par manque de temps mais surtout parce qu’ils la détestent. Quand ils paraissent plus sains d’esprit, ils font preuve d’arrogance. Mona Beadle était méprisée à l’école mais elle s’est embellie en grandissant. Vivant d’un héritage, elle ne fait rien si ce n’est détester les autres et espérer un apocalypse.
Les personnages sont souvent des hommes qui peinent à avoir une situation financière stable. Mal Rosen n’a pas de maison. Sa rencontre avec une fille de la bourgeoisie artistique provoque une crise personnelle. En effet, peinant à se trouver une personnalité, ces personnages sont très influençables. De plus, leur caractère et leur attitude sont si proches d’autres récits que Clowes pourrait presque créer un univers partagé.
L’unité de Caricature se fait bien entendu par le dessin. La mise en page classique cache un passionnant jeu entre épure et précision dans les cases. Les visages sont très réalistes mais sans aucune idéalisation. Le dessinateur expérimente la colorisation dans plusieurs récits avec des couleurs vives et non-complémentaires, presque du pop art.
10
Caricature se révèle un très agréable recueil de nouvelles. La cruelle tendresse de l’auteur pour certains de ces personnages touche le lecteur. Ils tentent de survivre à un quotidien morne et face à une société n’apportant que peu de réconfort.
Parcourez les traumatisme humains avec Pussey! et Arrêt de jeu.