Le western est un genre fleurissant en bd franco-belge mais encore discret en comics. Canary publié par Delcourt fracasse cette frontière avec un talent visuel indéniable.
Canary, un polar en santiags
Le début de Canary intrigue le lecteur en mélangeant le western et l’enquête. Dans la première scène, un enfant tranche la gorge de son institutrice lors d’une conférence politique dans sa salle de classe. Pourtant, le tueur avait la réputation d’être le seul enfant calme d’une famille violente et mal vue dans la ville. Plus étrange, ce meurtre n’est qu’un exemple d’une épidémie de morts violentes et sans raisons au sein de plusieurs familles. Un enquêteur, le marshal William Holt, rencontre un géologue ayant une hypothèse. Tous ses meurtres se déroulent le long d’une rivière souterraine prenant sa source dans la mine de Canary. De nombreux mystères planent sur cette ville. Le géologue se demande par exemple pourquoi creuser si profondément pour du cuivre. Ce lieu est également très personnel pour Holt : près de la mine, il a abattu un célèbre tueur. Le dernier épisode plonge à la fois aux sources de la mine et aux racines de la crise du héros.
Holt est en effet appelé pour rétablir l’ordre et il l’a fait plusieurs fois auparavant. Depuis 1883, l’arrestation d’Hyrum Tell a fait de lui une légende de l’Ouest construite dans des revues bons marché. Il est devenu une star car, quand il va devenir violent, il se cache le visage avec un foulard noir et blanc représentant un cercueil stylisé. Ce personnage pousse Canary vers une réflexion sur le héros masculin. Modèle parfait dans les romans, il jouit de la réputation d’être impitoyable mais ne s’en préoccupe pas. Il est même qualifié par le shérif de « fils de pute » car il refuse l’aide. Plus jeune, Holt voulait instaurer l’ordre pour faciliter la marche de la nation vers le progrès. Depuis, il a perdu ses illusions et fait son boulot en attendant la retraite.
Une œuvre politique au dessin splendide
Deux versions de l’histoire s’opposent dans Canary. Une découverte fait venir du pays entier à Canary des curieux fortunés qui croient au rêve américain d’une fortune rapide et pour tous. Refusant sa mythologie, William Holt tient à la vérité et voulait lutter contre les mensonges médiatiques. Cependant, il a également baissé les bras alors que plusieurs autres personnages veulent se conformer à un modèle qui n’existe pourtant pas dans la réalité. Le maire de Canary préfère garder cette légende qu’il instrumentalise afin de préserver le roman national et pour lutter contre le grand remplacement. Le scénariste montre le formation du mythe en mettant en parallèle des extraits du roman a quatre sous sur Holt et la réalité. Cette légende réduit la violence et supprime les sources d’inquiétude. Pourtant, dans le final, le héros se conforme à sa légende.
Le scénariste fait ainsi un éloge du storytelling et du mythe : la légende sauve le monde ce qui est étrange car ailleurs Snyder veut détruire le mythe de l’Ouest par des taches de sang. Il dénonce le génocide des peuples premiers et leur intégration de force dans la civilisation occidentale. Un enfant n’est pas un innocent mais un monstre qui, sans raison, bascule dans la folie et tue n’importe qui. La famille n’est pas un rempart et la fuite vers l’Ouest est une illusion.
Scott Snyder montre également un Ouest plus varié. Compagnons et acolytes de William Holt lors de l’enquête, l’Afro-Américain Edison Edwards est expert en géologie et Mabel Warren dirige le saloon. Ils croisent des peuples premiers qui sont loin des films. Le rêve de faire fortune se heurte à l’exploitation capitaliste. Hélas, ce message politique est lourdement appuyé. L’adversaire principal associe argent et enfer. La tension et la surprise diminuent dans la deuxième partie du livre.
Le scénariste sait très bien s’entourer. Dan Panosian se charge de l’ensemble des visuels des croquis jusqu’à la couleur dans un style magnifique. L’artiste joue des contrastes entre de multiples traits et l’épure. Il sait être réaliste par la précision des visages ou pour certains éléments : une locomotive, un cactus, le bois du saloon… Cependant, il peut aussi nous choquer quand il montre de face un homme défiguré afin de montrer les ravages de la conquête de l’Ouest. Sa précision anatomique est repoussante.
Le début de Canary mélangeant l’enquête et le western est une belle réflexion sur les mythes de l’Ouest mais la conclusion est plus décevante. Néanmoins, le dessin de Dan Panosian est passionnant de bout en bout.
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