Critique « DIEU EST MORT POUR NOS PÉCHÉS » : Au bord de la crise de foi

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Dieu est mort pour nos péchés se propose d’être une réflexion sur la foi et les multiples croyances qui prolifèrent au sein de notre société. C’est un spectacle qui cherche à comprendre la quête de sens et le besoin de sacré des personnes croyantes et plus particulièrement « néo-croyantes ».

Il est porté par la compagnie Les Corps Vagabonds, créée en 2012 par Liza Machover et Flavien Bellec, tous deux comédiens et metteurs en scène. Pour cette création, dont Liza Machover signe la mise en scène, la compagnie axe son travail sur le mode du laboratoire et nous propose un spectacle constitué de bribes de recherches, de discussions, de chants religieux et de prières dont les quatre actrices (Anne Duverneuil, Naïs El Fassi, Élise Fourneau et Manon Rey) font l’expérience. Un spectacle qui, dans le contexte de tensions religieuses que nous connaissons, ne peut que nous inciter à réfléchir.

La démarche de Liza Machover est née de la conversion de « [s]a colocataire âgée de vingt ans et adepte des soirées enfumées » au judaïsme – c’est ce que nous indique le synopsis au dos du flyer. « J’ai voulu chercher du sens moi aussi. Avec quatre actrices, nous avons donc cherché, comme elle, à croire. » Connaître l’origine de cette démarche est essentiel pour comprendre comment s’articule la dramaturgie du spectacle. Nous n’avons pas affaire à un récit linéaire mais à des tableaux saccadés, entrecoupés d’enregistrements sonores et d’extraits vidéo, qui participent d’une recherche globale sur le thème de la foi.

Sans titre 1 1 Critique « DIEU EST MORT POUR NOS PÉCHÉS » : Au bord de la crise de foi

Mais alors, qu’apprend-t-on de la foi ? Que le spectacle nous dit-il ou nous enseigne-t-il de la croyance, puisque c’est bien là le cœur de la réflexion ? Le titre n’est pas sans rappeler la célèbre formule nietzschéenne (« Dieu est mort ») utilisée par l’auteur dans Le Gai savoir. Cette mort de Dieu, elle est le résultat d’une transformation de la société (industrialisation à l’époque de Nietzsche, mondialisation et surconsommation de nos jours), d’une disparition de valeurs anciennes au profit de nouvelles. Comme l’écrit si bien Dostoïevski dans Les frères Karamazov : « Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis. » Ce « tout » dont il est question, ce sont les abus, les extrémismes, la volonté de puissance humaine qui pousse à la destruction de l’environnement et de la civilisation. Croire, avoir la foi, ne serait-ce pas aussi une façon de se contrôler, de refréner ses pulsions, voire de conduire son existence ? C’est, du moins, admettre pour soi-même qu’il existe une force supérieure et que nous ne sommes pas, en tant qu’Hommes, les maîtres de l’univers. Ne dit-on pas d’ailleurs que l’on « remet sa vie entre les mains de Dieu » ?

Paradoxalement, le terme même de croire à évolué avec le temps et s’est changé en une sorte de « dossier fourre-tout » où l’on range nos meilleures superstitions. La troupe des Corps Vagabonds l’a bien compris et nous laisse entendre, non sans humeur, sa liste de croyances issues du monde moderne.

La structure du spectacle révèle avec brio la réflexion subjacente, puisqu’elle nous plonge tantôt dans un univers hyperréaliste, aux sonorités contemporaines, tantôt dans un univers plus onirique, plus mystique, où l’on cherche Dieu, où l’on s’égare, où l’on revient. Dans la première partie, nous suivons quatre sœurs réunies à l’occasion de l’anniversaire de la plus jeune d’entre elles. Livrées à elles-mêmes, partisanes des soirées alcoolisées (symbole de notre société en manque de repères), elles peinent à trouver leur place et à dire leurs sentiments. Dans la deuxième partie, nous assistons à une série de chorégraphies, de chants, de prières proférées par des sœurs (cette fois-ci, religieuses) et dont le parcours de foi est loin d’être évident. Les costumes et la scénographie se prêtent au jeu et évoluent au fil du spectacle, laissant petit à petit un plateau nu, épuré et des costumes d’une grande sobriété : un passage réussi du profane au sacré. À saluer également la très belle performance des quatre actrices, dont le travail est impressionnant (le spectacle est physique) et dont l’énergie ne décroit jamais.

C’est, en bref, un spectacle qui appelle à repenser les fondamentaux du sacré, son étymologie, sa signification car c’est peut-être là que se trouve le sens. Qu’est-ce que le sacré aujourd’hui, qu’est-ce qui est important pour nous ? Peut-être Dieu n’est-il pas mort mais s’est-il simplement transformé ?

Un travail à suivre du 22 octobre au 2 novembre 2018 lors d’ateliers avec les publics à Regnéville-sur-Mer (50). Plus d’informations sur le site de la compagnie.