Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Avec Annick Bergeron
Théâtre de Chaillot jusqu’au 18 avril
Après le cycle « Le Sang des promesses », composé des spectacles Littoral, Incendies, Forêts et Ciels, Wajdi Mouawad poursuit avec Sœurs son nouveau cycle « Domestique ». Inauguré avec Seuls, qui dépeignait le symbole du fils, ce cycle « Domestique » propose d’explorer ce territoire intime et serpentueux qu’est la famille, sous cinq angles différents, cinq personnages. Ainsi, sont encore à venir Frères, Père et Mère.
Ici, donc, Sœurs, reprend les questions si présentes dans l’écriture de Wajdi Mouawad, écartelé entre le Liban des origines et le Canada où ses parents émigrèrent quand il était encore adolescent: celles de l’identité et du positionnement vis-à-vis de ses origines.
La pièce s’ouvre sur cette femme, Geneviève Bergeron, en route pour Ottawa et chantant à tue-tête au volant de sa voiture les mots de Ginette Reno « Je ne suis qu’une chanson… ». Bientôt elle se laisse complètement envahir par l’émotion, mais on comprend bien que celle-ci se puise bien au-delà de l’élan pathétique des mots que crache la radio. Dans son inconscient, elle sent venir un choc émotif bien plus important. Cette chanson présage une réflexion douloureuse sur l’absence de repères, le manque, le déracinement et les sentiments enfouis.
Et l’intuition se réalise, quand Geneviève Bergeron est contrainte par une tempête de neige à rester dormir dans un hôtel d’Ottawa. Une désillusion professionnelle aura suffi pour cette femme engagée dans la résolution des conflits planétaires, et la nuit se transforme en véritable introspection : Quelles traces a-t-elle laissées? Qu’a-t-elle construit et qui est-elle réellement? Ces interrogations laissent alors place au chaos ; à la destruction même, intérieure et extérieure.
Quelques jours après, une jeune femme travaillant pour l’agence d’assurances chargée de faire l’état des lieux du saccage de la chambre se livrera elle aussi, dans ce lieu dévasté, à une confidence intime. Une collision, plus qu’une rencontre, liera ces deux femmes. Une sorte de « sororité » s’établit et sans se voir elles se « rechargeront » mutuellement.
La mise en scène de Sœurs est marquée par une instabilité, un chaos matériel que Wajdi Mouawad maitrise bien : le plateau de Chaillot devient un véritable champ de bataille en quelques minutes. Nous regrettons toutefois que ce chaos scénique prenne le pas sur les bouleversements psychologiques. La comédienne Annick Bergeron, dont l’énergie et la générosité de jeu sont admirables, ne parvient pas toujours à nous transmettre ses sentiments intérieurs et l’émotion survoltée entrave un peu la parole et hélas, la profondeur du texte ne nous parvient pas autant que dans les autres pièces de Mouawad, ce qui entraine quelques longueurs dans le spectacle. Heureusement, l’humour et le décalage sont des alliés tout au long de ce texte.
Une bonne surprise cependant, pour les spectateurs qui déplorent l’utilisation de plus en plus systématique des écrans dans les créations contemporaines, dans Sœurs, la vidéo apporte une dimension très poétique et esthétique à une scénographie qui peut paraitre chargée. Plus chimériques que réalistes, les images nous transportent et procurent à la fois un plaisir et une réflexion.