Critique S1 « Chewing Gum » (Netflix) : la sitcom qui ne mâche pas ses mots !

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Naïveté, chrétienté, sexualité et Beyoncé : bienvenue dans le monde complètement barré de Chewing Gum ! Cet OVNI haut en couleur nous vient tout droit d’Outre-Manche, et plus précisément de la banlieue londonienne d’où est issue sa créatrice. La talentueuse Michaela Coel nous embarque dans sa bulle, où tabous et conventions n’ont pas leur place.

Que l’on soit bien clair dès le début : Chewing Gum ne sera pas du goût de tout le monde. La série a d’abord été diffusée sur la mythique chaîne anglaise E4, grâce à laquelle on a vu naître des programmes aussi légendaires que clivants comme Skins ou Misfits. De la même manière, l’humour un peu particulier de Michaela Coel peut rebuter certains. Il faut dire qu’elle n’y va pas avec le dos de la cuillère ! C’est à la fois violent et d’une simplicité étonnante. Mais que l’on adore ou que l’on déteste, l’univers de la brillante British ne laisse clairement pas indifférent. Tout simplement parce que Coel réussit l’exploit rarissime d’apporter quelque chose de nouveau. Une bonne dose de malaise, un joyeux mélange de couleurs pastel et des situations totalement improbables : voici la recette acidulée de Chewing Gum.

Le rôle de sa vie

Chewing Gum raconte l’histoire de Tracey Gordon, une jeune femme de 24 ans de la banlieue défavorisée de Londres. Au premier abord, la vie de l’Anglaise n’a pas l’air très réjouissante. Caissière dans une petite supérette du coin, elle vit encore chez sa mère, une femme stricte très religieuse qui ne jure que par l’abstinence et la prière. Tracey, quant à elle, préfère vouer un culte à Beyoncé. Elle a bien un petit ami, mais celui-ci est carrément frigide. Il lui porte peu d’attention, refuse de la toucher avant le mariage et se sert surtout d’elle comme couverture pour cacher son homosexualité. Pourtant, la jeune femme n’a qu’une seule idée en tête : découvrir les joies du sexe, le tabou ultime.

Malgré tout, Tracey est loin d’être malheureuse. A travers sa focale, ce joyeux bordel n’a rien de déprimant. Elle nous embarque dans un monde bien à elle, folklorique, déjanté et dénué de toute notion de recul. Naïve et bien dans sa bulle (un peu comme Diam’s, quoi), elle a peu conscience du monde qui l’entoure. La réalisatrice n’hésite d’ailleurs pas à « briser le quatrième mur ». C’est-à-dire à faire parler son personnage face caméra, en s’adressant directement aux téléspectateurs, parce que “le monde de Tracey est inconnu et étrange pour la plupart des gens. Il faut les aider à y pénétrer”.

Michaela Coel, que vous avez déjà pu rencontrer à plusieurs reprises dans Black Mirror par exemple, s’est largement inspirée de sa propre vie pour créer Chewing Gum. Au départ, l’artiste aux multiples talents en avait fait un poème, puis une pièce de théâtre. Devant son succès, l’histoire a été adaptée en série. Chewing Gum Dreams est né d’un constat d’échec, d’une incapacité à me reconnaître dans les pièces qu’on me proposait. Je voulais faire autre chose, écrire un texte qui me ressemble”, précise la réalisatrice. Et bien c’est mission réussie ! Coel a créé un personnage unique et complexe, à son image. L’actrice n’hésite pas à utiliser son physique atypique et élastique pour renforcer les situations comiques.

Bienvenue chez les cassos

Coel est née dans les quartiers pauvres de la banlieue de Londres, tout comme son héroïne. « Je viens d’un monde que vous voyez rarement à l’écran et je voulais le montrer ». Dans Chewing Gum, la réalisatrice s’amuse avec les clichés de la cité, comme ces deux jeunes femmes enceintes et surmaquillées qui se vantent de vivre des allocs. « Les gens avec qui j’ai grandi sont marrants, ce n’est pas difficile pour moi de construire des personnages drôles. Je vois juste des gens marrants autour de moi tout le temps ».

Mais il s’agit également de donner une autre image de la banlieue. “J’ai grandi dans une cité, et je n’ai jamais eu peur. Je veux montrer un autre visage de ces quartiers, plus fantaisiste que celui, dur, violent, gris, que l’on voit dans la plupart des séries britanniques. (…) Je me dis qu’il y a un risque que la fiction ne devienne plus seulement le reflet de la société, mais que la société reflète ce qu’elle voit dans la fiction, et, dans un tel cadre, que ces histoires sombres puissent avoir un impact négatif.”

Une image de la banlieue colorée, des scènes de sexe carrément raté (un peu comme dans la vraie vie en fait), et un rôle confectionné par et pour elle. Michaela Coel réussit le pari de nous faire rire avec ces ingrédients improbables. On espère que la suite flirtera autant avec le malaise et le mauvais goût. Parce qu’au fond, ça fait du bien.