Mort de Alan Vega, fondateur du groupe Suicide

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Il est mort paisiblement dans son sommeil à 78 ans. Né Boruch Alan Bermowitz à Brooklyn, Alan Vega a fondé le groupe Suicide dans le Manhattan chaud bouillant du début des années 70. Les 3 albums de ce groupe resteront gravés dans la mémoire comme des témoignages essentiels d’une Amérique accélérante et hors de contrôle, illustrée par des beats électro ultra rapides et un chant aigu ponctué par des cris sauvages. Une tension et une atmosphère apocalyptiques qui n’ont jamais été égalées . La carrière solo donne une tournure intéressante, ce retour non sans ironie aux sources rockabilly et country, à l’instar des Straycats ou des Cramps. L’une comme l’autre période ont chacune donné suite à des groupes déterminants de la new wave ou de l’électro-pop.

Alan Vega

Manhattan, début des années 70. Une intrigue grandissante nait de cette musique inquiétante qui exploite le rockabilly et l’électronique balbutiante. Alan au chant n’aura de cesse de ponctuer ses paroles de cris aigus et agressifs, quand le clavier de son acolyte Martin Rev va reproduire un bourdon sonore ultra répétitif et qui préfigure « sans faire exprès » la techno, des années avant. Dans les titres de la poignée d’albums que le duo aura réalisé, on y trouve l’urgence, la frénésie, le sentiment tellement punk que sans futur, mieux vaut mieux mourrir jeune. Ce que scande d’ailleurs, outré, Alan dans « Ghost Rider », l’ouverture du premier album éponyme sorti en 1977 : « America’s killin’ its youth » (« L’Amérique est en train de tuer sa jeunesse »). La guerre du Vietnam en toile de fond, Suicide sera un ambassadeur cinglant d’un nihilisme émanant de la petitesse humaine qui le dégoûte profondément. « Doomsday » répète-t-il dans « Rocket USA« ,insiste-t-il avec une révèrbe stridente de sa voix de fausset, des fois que vous n’auriez pas compris. Sauf que l’amour, il y croit encore. Désespéré, il s’y agrippe dans « Cheree Cheree » et dans « Girl ».

Il y perd même sa langue : « Oh Girl, Turn Me On », qu’il supplie de sa voix suave et libidineuse. Vous l’aurez compris, Alan Vega ne serait pas le mec idéal à présenter à ses parents. Tiraillé entre l’acharnement sexuel et un cri d’alarme incroyable sur « où va le monde, L’Amérique est devenue folle ». Si vous arrivez à écouter « Frankie’s teardrop », un récit d’un vétéran du Vietnam qui pète un câble, jusqu’au bout, 10 minutes de rythmes sourds par dessus desquels Alan va s’égosiller d’avantage qu’un chanteur de doom-métal, bon courage. Jusqu’à ce qu’on retrouve une libératoire ode au rêve et à la féminité, « Keep your dreams », un splendide morceau d’électro-pop, mêlant la répétitive techno et un chant qui, de suicidaire, devient flamboyant.

On aime parce que le contraste est vertigineux, parce que la tension est d’une puissance à la hauteur des maux qu’il veux dénoncer. L’arrivée de l’électronique, de l’indus ou de la new Wave juste après parait du coup logique (Cabaret Voltaire, Talking Heads, New Order, Public Image LTD, Wire, Cars, etc… lui sont tous contemporains ou sont ses héritiers). Les albums suivants vont continuer dans cette lignée, non sans avoir levé le pied quand même (ç’aurait été intenable sinon). Des sons entre légèreté rockabilly et voix fluette désabusée, sur fond d’arrangements électro toujours un peu ténébreux, vont donner ce charme d’une musique paresseuse mais entrainante, à la fois musique d’ambiance et dansante (« Diamonds, Fur Coat, Champagne » – 1980). Non sans sortir encore des merveilles dark, comme « Dominic Christi » de « The Way Of Life » (1988) , une épopée électro infernale, presque ambiant, que ne renierait pas aujourd’hui Mondkopf, l’artiste électro dark français.

En solo, il va surfer, non sans ironie, sur un rockabilly plus traditionnel, plus dansant, comme « Jukebox Babe », dans une discographie plus discrète. Dernièrement, il venait de collaborer avec Christophe, le chanteur français yéyé qui ne rechigne pas les mélanges osés entre électro et rock’n roll.

En regardant sa carrière, c’est aussi par sa posture provocante qu’Alan Vega restera connu, ses concerts terminant parfois en émeute, haranguant ainsi son public et surfant sur nos bas penchants. Une manière un peu spéciale de les dénoncer, en tout cas dans l’intention, ce qui ne manquera pas de susciter critiques et désapprobations. Mais son aura, notamment au début de sa carrière, et sa contribution aux musiques contemporaines, avec une vision très osée qui va enjamber la période punk, lui valent à juste titre tous les hommages.

Et pour avoir un petit aperçu du personnage, voici une interview faite par Thierry Ardisson dans les années 80 :