[Critique] Rezz – Mass Manipulation : un style réaffirmé au service d’un album instantané

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Plusieurs années après ses débuts derrière les platines, la « petite sœur spirituelle de Gessafelstein » plonge dans le grand bain. Rezz, jeune canadienne de 22 ans à peine, livre enfin son premier album. Un huit titres riche et parfaitement à son image : sombre, malade et appuyé.

Malgré un parcours des plus récents, Isabelle ‘Rezz’ Rezazadeh semble en avoir fait, du chemin. Mass Manipulation, premier long-play de la carrière de la Canadienne, se pose en synthèse parfaite du style si particulier qu’elle se plait à travailler depuis qu’elle compose. On parle d’une Techno lente, imagée. De sons qui rappellent les films de science-fiction de série B, avec ce qu’ils comportent d’aliens gluants et de monstres globuleux. Un premier album qui sonne comme une invitation donc, à entrer dans l’univers déjà reconnaissable de Rezz.

On n’arrive pas en terrain inconnu avec Mass Manipulation. Pour cause : les deux premiers titres du disque sont les singles Relax et Diluted Brains. D’une force inégale, les deux tracks ont pourtant le mérite de proposer à l’écoute deux des facettes les plus représentatives de la musique de Rezz. On a d’une part un entame au rythme balourd, saturé de basses et très cyclique rappelant l’inoubliable Fourth Impact. De l’autre, une plongée tout aussi indolente dans la part la plus malsaine de la compositrice. Diluted Brains dispose d’une atmosphère sale et d’une mélodie pernicieuse rendant l’écoute presque impure. Là sont les deux axes de rotation de la planète Rezz.

Hypnose

Il faut attendre le troisième morceau de l’album pour découvrir un inédit. Enfin, presque. Premonition rappellera certainement aux avisés le tube Pursuit de Gessafelstein. Le clin d’œil prête à sourire (Rezz adore l’inclure à ses sets en Live), mais nous crispe quelque peu quand on en liste les similitudes. À ce niveau, on ne passe pas vraiment loin du plagiat.

Retour en milieu familier avec DRUGS!, qui officiait en qualité de troisième single de l’album. Titre très basseux, il fait le choix d’abandonner toute mélodie. Drop à lui tout seul, le morceau est calibré pour les ruptures de cervicales en live. Une transition des mieux choisies, pour le banger absolu de ce premier album : LIVID.

Une montée d’acide réglée en 45 secondes, et c’est parti. Rezz lâche la bride, et fait partir ses chevaux au triple galop. En résulte une track mélodieuse, agressive et aussi bruyante que cathartique. Sans doute l‘un des meilleurs titres que la Canadienne ait composé. Le cardio se calme sur le titre suivant. Green Gusher ne fera pas date, mais offre un aperçu de ce que Rezz sait faire en scratch, et contribue à diversifier un album dont la cohérence pourrait nuire — à terme — au plaisir d’écoute.

Press (re)play

Puisqu’on parle cohérence, Synesthesia fait office de cas d’école. Le titre pourrait devenir à lui seul la carte d’identité de la productrice. Au grand bingo musical façon Rezz, il coche toutes les cases. Mélodie simple et asphyxiante, basses écrasantes et rythme patapouf venant écraser l’auditeur sous une chappe techno / dubstep. Pas forcément le meilleur cru pour les connaisseurs, mais une jolie entrée en matière pour ceux qui découvrent l’artiste.

Fin de course aussi surprenante que détonante pour Mass Manipulation, avec Ascension. Titre à l’intitulé évocateur, tant il se pose en opposé exact du Relax inaugural. Mélangeant avec brio des sonorités dubstep, techno voire trance (les quelques notes de guitare nous rappellent le meilleur d’Infected Mushroom), le featuring avec Kotek ne nous laisse pas sur notre faim, et clôt de manière heureuse un album court mais dense.

Déjà riche d’une discographie éparse, entre collaborations inspirées et EP fourre-tout, Rezz propose avec son premier album une sorte de curriculum de son savoir-faire, auquel aucun auditeur un tant soit peu sensible à la musique électronique ne saurait résister. L’ensemble forme un disque d’une cohérence folle, achevant de signer de lettres nobles la pierre que Rezz apporte depuis des années déjà à l’édifice techno.

Pierre Crochart