Comme un roman, Daniel Pennac

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Daniel Pennac nous livre un essai pédagogique sur la lecture en 1992 intitulé Comme un roman, publié chez Gallimard et disponible depuis 1995 en Folio Poche.

La lecture vous rend capricieux ? Vous avez été obligé de lire Balzac au collège et vouliez sauter quelques chapitres de description ? Vous avez dû commenter des textes par obligation sans savoir où voulait en venir l’auteur ? On vous a dit que lire était un truc d’intello rasoir ?
Et si vous vous réapproprieriez vos droits de lecteur et lisiez ce que vous souhaitez, de la façon dont vous le souhaitez et où vous souhaitez ?

Comme un roman, c’est une sorte d’élégie au lecteur et à la pédagogie. On y trouve une approche de la lecture qui pourrait donner envie à n’importe quel traumatisé du livre. Le remède ? Une approche non élitiste de la culture qui rend l’accessibilité au roman et à la lecture. Ce livre est découpé en quatre parties bien distinctes, comme suit.

Naissance de l’alchimiste

Cette première partie de l’ouvrage place le jeune lecteur au centre du débat et explique comment et pourquoi un adolescent en vient à ne pas apprécier ni les livres, ni la lecture. Pour montrer que lire doit d’abord être un plaisir, Pennac se place du côté de l’enfant et énumère de son point de vue les raisons qui le pousse à rejeter la lecture : l’apprentissage de la lecture seul, le système scolaire, la pédagogie des enseignants, les thèmes choisis et le manque de mise en perspective avec l’actualité.

 

« Et si ce n’est le procès de la télévision ou de la consommation tous azimuts, ce sera celui de l’invasion électronique ; et si ce n’est la faute des petits jeux hypnotiques, ce sera celle de l’école :l’apprentissage aberrant de la lecture, l’anachronisme des programmes, l’incompétence des maîtres, la vétusté des locaux, le manque de bibliothèques. Quoi donc, encore ? Ah ! Oui, le budget du ministère de la Culture… une misère! Et la  part infinitésimale réservée au « Livre » dans cette bourse microscopique. Comment voulez-vous que mon fils, ma fille, que nos enfants, que la jeunesse, lisent ? D’ailleurs les Français lisent de moins en moins… Ainsi vont nos propos, victoire perpétuelle du langage sur l’opacité des choses, silences lumineux qui en disent plus qu’ils n’en taisent.»

Dans ce chapitre, Daniel Pennac met sous lumière la vision des jeunes par rapport aux livres, et en se plaçant de leur côté et en leur donnant presque raison, il attise leur sympathie et ne réussira que mieux à replacer le plaisir de lire au centre de leurs pratiques.

Le dogmatisme de la lecture

Vous vous rappelez sans doute de ce livre de Français qu’il fallait absolument lire et commenter pour le lendemain mais que malgré vos efforts, vous n’arriviez pas à terminer. Et c’était bien là tout le drame : il FALLAIT lire. C’était bien une obligation et une injonction, car enfin vous ne pouviez réussir sans cette tache accomplie. Dans cette seconde partie de l’ouvrage, Pennac revêt différents rôles. Parfois du côté d’un jury, parfois de celui d’un élève, il utilise également son expérience en tant que professeur pour témoigner de l’expérience de l’enseignement. On assiste ici à la désacralisation de la lecture intellectuelle pour céder la place à une lecture de plaisir qui se défait des classes sociales.

Donner à lire

Daniel Pennac cherche ici à offrir la lecture aux plus rebutés de l’expérience. En décrivant l’attitude lycéenne qui consiste à se dévaloriser par rapport au savoir afin d’y échapper, il fait référence à la fatalité du milieu scolaire et à ceux qui d’instinct, se mettent en marge, soit parce qu’on leur a appris à ne pas se créer de problème, soit pour éviter d’en avoir à résoudre. Tous ces jeunes auxquels fait face l’auteur, dans sa figure de professeur, sont perplexe car « trop de vocabulaire dans les livres. Trop de pages aussi. Pour tout dire, trop de livre. » Daniel Pennac propose donc une lecture à voix haute, mais on lui répond « On a passé l’âge. Préjugé communément répandu… particulièrement chez ceux à qui l’on n’a jamais fait le vrai cadeau d’une lecture. Les autres savent qu’il n’y a pas d’âge pour ce genre de régal. »
Puis une fois la curiosité et l’intérêt suscités, on cherche à connaître la suite. Une fois l’œuvre terminée, on cherche à lire d’autres de ces histoires qui donnent une belle tranche d’aventures ici même, sur notre chaise, dans notre lit, dans notre fauteuil, dans le bus.

« Il ne s’est rien passé de miraculeux, pourtant. C’est que le plaisir de lire était tout proche, séquestré dans ces greniers adolescents par une peur secrète : la peur (très, très ancienne) de ne pas comprendre. »

La question du temps passé à lire est aussi composante de la peur qui hante le lecteur réticent. À quoi bon ? Ce livre est trop gros, trop long, trop de pages, quoi ? 500 pages ? C’est pire que l’éternité. Le nouveau lecteur compte donc ses pages, marque son avancée en chiffres, au départ. La page 100 en est clairement le premier palier, le premier défi. « Comptez vos pages… On commence par s’émerveiller du nombre de pages lues, puis vient le moment où l’on s’effraie du peu qu’il reste à lire. » Puis, emporté dans cette histoire qui n’est pas la nôtre, on s’immisce le temps de quelques pages, plusieurs fois par semaine, puis par jour, dans la vie d’un autre, découvrir quelque chose que nous n’allons peut-être jamais vivre et s’enrichir de tout ce que ces personnages étrangers et familiers à la fois ont vu, connu, ressenti. N’oubliez pas que c’est l’expérience qui nous fait apprendre.  Le mal est fait, vous devenez accro. Voici donc comment Daniel Pennac recentre la lecture dans les pratiques : une lecture à voix haute, une histoire bien choisie, et de la pédagogie.

Une petite recette agréable à lire, qui peut être une bonne entrée en matière, un remède pour guérir ceux qui sont malades à la simple vue d’un livre.

Les droits imprescriptibles du lecteur

Dans cette quatrième et dernière section d’ouvrage, Daniel Pennac énumère ce qu’il appelle « les droits imprescriptibles du lecteur ». On y trouvera donc des pensées tournées sur tout ce que le lecteur n’est pas obligé de faire, une façon d’approcher la lecture différente de celle des académies. Une version plus libre qui met d’accord tous types de lecteurs.

Ainsi, on retrouve : le droit de ne pas lire, celui de sauter des pages, de ne pas terminer un livre, de relire, de lire n’importe quoi, le droit au bovarysme, celui de lire n’importe où, de grappiller, de lire à voix haute ou encore celui de se taire.

Comme un roman de Daniel Pennac, est une incroyable entrée en matière pour la lecture, pour tous et surtout, sans modération. À conseiller à tous ceux qui vous regardent avec de grands yeux ronds lorsque vous sortez un énorme pavé de votre sac à main, ou bien même pour vous, pour poser des mots sur ce qui vous rend dépendant de ces morceaux de papier reliés.

crédits photos : source, lewebpedagogique.com