Mank de David Fincher : Cirtique n’est pas celle d’un flim sur le cyclimse

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Osé. C’est le premier mot qui nous vient à l’esprit en pensant au nouveau film de David Fincher. Faire un film hollywoodien de plus de 2h en noir et blanc ? Tourner en 8k pour finalement reproduire l’aspect des films de 1940 ? Check. Mais l’idée la plus osée de Mank est certainement de faire un film sur la genèse de Citizen Kane en ne montrant quasiment jamais son réalisateur, le légendaire Orson Welles…

Mank est donc le premier long-métrage de David Fincher depuis Gone Girl, soit 6 ans d’absence. C’est pourtant l’un des plus anciens projets du cinéaste : à la sortie d’Alien 3, son père, Jack, commence à travailler sur une première version de Mank. Le père et le fils collaboreront pour aboutir au résultat que l’on a désormais sous les yeux. On comprend pourquoi Netflix a récupéré le projet : le nouvel opus Fincherien est une reconstitution du Hollywood des années 1930-1940 absolument fascinante, extrêmement dense et riche en information. À tel point que l’on conseille au lecteur de se renseigner sur le fonctionnement du Hollywood de l’âge d’or. Tout l’inverse d’un projet soutenu par les studios, en quête de réussite assuré.

Tarantino VS Fincher

Cette avalanche d’informations sera notamment l’une des raisons qui diviseront le public sur le résultat de Mank. Un défaut (ou une qualité selon les spectateurs) qui touchait déjà le dernier film de Tarantino Once Upon a Time… In Hollywood. Pour les cinéphiles, ce dernier était un véritable trésor permettant de revivre une époque disparu. Pour le grand public, c’est un film difficilement accessible et trop long. Tout est à parier que Mank sera accueilli d’une manière similaire. La comparaison entre le film de QT et celui de Fincher ne s’arrête pourtant pas là.

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Les deux films s’arrêtent sur la vie de personnages naviguant dans l’ombre d’Hollywood : vedette de séries TV et cascadeur pour l’un, scénariste pour l’autre. Les moyens utilisés par les deux films ne sont pourtant pas les mêmes. Once Upon… est filmé en 35mm, à la façon de l’époque qu’il est censé représenter, et pourtant, ne trompe pas sur son statut d’objet sorti en 2019. À l’inverse, Mank est conçu pour donner l’impression d’assister à une projection en salles dans les années 1940.

Plongée dans l’histoire du cinéma

En rendant tout d’abord hommage à la photographie du chef opérateur de Citizen Kane Greg Tolland, un noir et blanc évoquant à la fois le film noir et l’expressionnisme allemand. Fincher et son équipe s’amusent également à détériorer une image tournée en 8K, en ajoutant brulure de cigarette, rayures à l’image, etc. Tout en se permettant de compresser le son pour se rapprocher du mono des films des années 40. Pourtant, dans le fond, cette imagerie ne sert qu’à une seule chose : utiliser l’histoire du cinéma pour parler de soi.

La face cachée de Citizen Kane

Ironique alors que Mank remette en question le film qui a donné envie à toute une génération de faire du cinéma. La génération qui théorisera la fameuse « théorie des auteurs ». Fincher semble prendre parti d’une autre version de l’histoire de Citizen Kane. Pas celle qui nomme Orson Welles comme auteur et seul responsable du « plus grand film de tous les temps ». Mais plutôt celle qui rappelle que le cinéma est bien un travail d’équipe, et qu’un film est réussi grâce à l’addition de talents. Dans Mank, seul Herman Mankiewicz est au cœur de Citizen Kane.

Welles, lui, ne semble qu’attendre la livraison de son scénario, en vaquant à d’autres projets. Blessé, l’alcoolique Mank se voit contraint d’être enfermé dans une cabane et a 60 jours pour écrire le scénario du futur chef d’œuvre. Coupé de toute distraction, l’auteur, parfaitement incarné par Gary Oldman, se plonge dans ses souvenirs afin de nourrir son intrigue. L’occasion pour Fincher de parler de son rapport conflictuel avec les studios hollywoodiens.

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Fincher VS les studios

Il suffit de rappeler le tournage catastrophique d’Alien 3, renié par Fincher, pour comprendre que l’homme n’a pas un rapport cordial avec les majors. Mank ne risque pas d’apaiser la situation. Hollywood est dépeint comme l’usine à rêves telle qu’elle est : une usine qui tente d’écraser tous ceux qui tentent de dépasser la norme. Comme ce Mank autodestructeur pourtant apprécié par les pontes d’Hollywood, notamment, par William Randolph Hearst, l’une des inspirations les plus célèbres de Citizen Kane.

Cette relation est celle qui permet à Fincher de parler de l’industrie hollywoodienne. Une industrie qui prétend défendre l’art pour l’art, alors qu’elle ne fait que défendre ses intérêts économiques, soumis à des groupes économiques, invisibles. Si l’industrie s’est tournée vers le parti démocrate depuis les années 30, la relation entre les studios et WRH forme une sorte d’entre-soi incestueux. Mank, sous son apparence de sage biopic, est en réalité une œuvre subversive envers les studios et de leur peur de s’opposer au courant dominant. Dès que le scénario de Citizen Kane circule, la panique est provoquée par peur de provoquer la fureur du magnat Hearst.

Hollywood selon Fincher

Pourtant, l’homme d’affaires n’est pas dépeint d’un mauvais œil. C’est un personnage nuancé, ayant du charme. Une version plus sage de son incarnation fictionnelle. C’est la lâcheté des acteurs de l’âge d’or, jouant de leur influence pour faire échouer le candidat politique pouvant redonner espoir au peuple qui est attaquée. C’est cette machine de propagande qui est attaquée au lance-flamme par Fincher. Le choix de s’attarder sur la vie du vieux scénariste, brisé par la machine, mais qui retrouve espoir dans un projet où il a carte blanche, a du sens pour le cinéaste.

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Mank est donc un film curieux qui s’attaque à la stature du saint patron de la théorie des auteurs. Ici, Fincher livre pourtant son film le plus personnel… Le récit d’un homme qui a lutté toute sa vie contre le système afin de pouvoir obtenir sa liberté artistique.