Critique « L’Aurore » de Friedrich Wilhelm Murnau (1928) : Retour sur « La Nuit au Cinéma » au Musée d’Orsay

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A l’occasion du Festival du cinéma du Musée d’Orsay et dans le cadre de la thématique « La nuit au cinéma », L’Aurore de Friedrich Wilhelm Murnau a été programmé. En attendant La Nuit du Chasseur et Rencontres du Troisième Type, le Musée a opté pour un classique de 1928 mis en scène par le réalisateur visionnaire de Nosferatu. Une projection doublée d’ailleurs d’une petite surprise puisque elle était accompagnée par le pianiste Paul Goussot, au clavier pour interpréter les musiques du film. 

Une ambiguïté nocturne 

Aurore

Friedrich Wilhelm Murnau s’inscrit parfaitement dans la thématique mise en avant par le musée d’Orsay. C’est un cinéaste talentueux qui, souvent, s’est approprié les bienfaits nocturnes pour agrémenter ses œuvres. La nuit est le sujet de tous les fantasmes, c’est un objet paradoxal, aussi bien représentatif de la mort que de la renaissance. La nuit, état ambiguë par excellence, joue avec les peurs et les désirs du spectateur. Celle-ci peut aussi bien appeler au froid, à la tristesse, à l’isolement, à la mélancolie, à l’égarement, à la joie, la festivité, la chaleur ou la sécurité. Le musée d’Orsay aurait tout aussi bien pu choisir Nosferatu, œuvre gothique sombre et impressionnante basée sur le Dracula de Bram Stoker. Pour autant le choix de L’Aurore ajoute un élément de surprise : la présentation d’un film qui utilise la nuit à merveille et avec subtilité. Murnau place d’abord ses personnages dans un contexte de décadence. Les protagonistes, atteints d’une pauvreté croissante, sont obligés de se débarrasser de leurs biens et de leurs animaux. L’époux, interprété par O’Brien, est triste. Son cœur est corrompu et l’attirance qu’il ressentait jadis pour son épouse s’est ternie. Il est désormais épris d’une autre, une femme mystérieuse et hypnotisante. Par ce postulat de départ, le cinéaste va matérialiser la nuit comme vecteur de mauvais présages. La rencontre entre le protagoniste et cette femme manipulatrice se manifeste la nuit, dans une noirceur pénétrante. La nuit est pleine d’animalité, d’angoisses et de peurs, elle apparaît sous son visage morose, appuyant la présence de cette harpie démoniaque, sorte de spectre vermine apparaissant au gré de la lune, ne se montrant qu’une fois la nuit tombée. Murnau va opérer, au fil de l’histoire, une évolution de cette représentation de la nuit. Dans la seconde partie, lorsque la flamme unifiant le couple va se rallumer, la nuit va se montrer sous un nouveau visage, plus accueillant. Le réalisateur, pour accompagner l’amour renaissant, donne une vision beaucoup plus sécurisante de la nuit, qui devient l’illusion des désirs et des fantasmes. L’ambiance devient festive, soulignée par la foule, la musique, la fête, la danse et l’alcool. A travers cette vocation sécurisante, la nuit devient l’acolyte des bons souvenirs. Une transition parfaitement établie qui symbolise les changements internes des protagonistes.

L’Aurore, un film à la technique irréprochable avant l’heure

L_Aurore

Friedrich Wilhelm Murnau nous offre, au-delà de cette histoire pleine de symbolisme, apparaissant comme l’une des plus belles romances de l’histoire du cinéma, quelques prouesses techniques de premier ordre. Il signe une photographie somptueuse, appuyée par des cadrages parfaits et des décors en adéquation avec le scénario. Le coup de caméra de ce réalisateur est très fluide, offrant quelques légers plans séquences avant l’heure.Distillant ça et là quelques éléments comiques très inspirés du cinéma de Chaplin (humour de situation burlesque et bien pensé), L’Aurore passe du polar noir à la comédie romantique. La transition est fluide et le ressort psychologique demeure intéressant. Murnau met en avant l’état psychologique du son personnage masculin, amenant une vérité absolue et édifiante, qui considère que, dos au mur, l’Homme est prêt à tout pour tourner la page. Pour autant, le cinéaste va contredire cette affirmation par le relationnel, les sentiments et la dimension mémorielle. Le réalisateur tentera de surprendre son spectateur et de laisser place au doute jusqu’à sa conclusion plus ou moins attendue.

L’Aurore était un choix légitime du Musée d’Orsay pour lancer sa thématique autour de la nuit au cinéma, tant le film de Friedrich Wilhelm Murnau s’y prête dans sa représentation du nocturne. On saluera le travail impressionnant du pianiste Paul Goussot, qui a interprété pendant 1h35 les différentes musiques de l’œuvre. Chapeau !