Interview de Julie Ledru du film Rodéo : « le cross bitume, c’est une passion »

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Lors Champs Elysées Film Festival qui s’est déroulé du 21 au 28 juin dernier, Just  Focus a eu l’occasion d’interviewer Julie Ledru, jeune actrice prometteuse à l’affiche du film Rodéo de Lola Quivoron. Long métrage élu coup de coeur du jury à Cannes, Ledru fait ses débuts d’actrice par la grande porte. Retour sur le parcours de la jeune femme, de sa passion pour le cross bitume jusqu’à son arrivée dans le monde du cinéma avec ce premier long métrage.

cross bitume
Julie Ledru, à l’affiche du film Rodéo
JF : Peux-tu te présenter de la manière dont tu le souhaite ?

Julie Ledru : Julie Ledru, je suis née dans le 95, originaire de Villiers-le-Bel. J’ai beaucoup travaillé dans les boîtes d’interim car j’ai du remplacer ma mère qui est tombée malade. J’ai repris son poste, j’ai très vite dû arrêter l’école, j’étais initialement en CAP restauration gastronomique. Finalement je n’ai jamais vraiment décroché, car un salaire quand tu sors du lycée c’est appréciable. Je suis restée dans le même milieu, et dans la même boîte pendant 4 ans.

Concernant la moto, j’en fais depuis l’âge de 9 ans, j’ai appris avec mon petit frère. Il avait demandé une moto à son père pour qu’on apprenne tout est deux. Ensemble, on partait s’entraîner aux bords de l’Oise. On était beaucoup forêt, compétition FFM (Fédération Française de Motocross)…. Ma curiosité m’a poussé sur les réseaux sociaux, j’ai ouvert mon Instagram sous le nom d’inconue95 et j’ai découvert sur l’application le cross bitume. De là, j’y suis allée une première fois, puis une deuxième fois. J’ai plus du tout quitter le cross bitume jusqu’à rentrer dans le premier groupe français de cross bitume, qui est le Dirty Rider Crew (DRC) et me voici, arrivée au film.

JF : Ce qui t’as donc donné envie de faire du cross bitume, c’est ta famille ?

J.L : Le cross en lui-même, ma maman en faisait quand elle était plus jeune. On était tombé sur le livre de famille avec une photo d’elle à côté d’une Suzuki. Quand on a vu cette photo avec mon frère on a dit « Mais c’est quoi ça ?! Tu faisais de la moto ? » Elle nous a donc expliqué que oui, elle faisait du cross en forêt. C’est venu d’elle.

JF : Quelles sont tes expériences dans le cinéma ?

J.L : Ma télé (rires). Aucune, c’est mon tout premier long métrage. Je n’ai pas fait d’études, je ne m’intéressais pas du tout au monde du cinéma. J’aimais beaucoup aller au cinéma, j’y allais à hauteur d’une fois par mois. Mais pas plus intéressée que ça.

JF : Quelles sont tes références en matière de cinéma ? 

J.L : Je dirai Fish Tank en premier, et Rosetta en second.

JF : Qu’est ce qui fait que la bike life a un côté poétique ?

J.L : Il faut aller sur les lignes pour voir ça. Je pense que ça laisserait sans voix pas mal de monde de voir les figures en elle-même. Il y a comme une forme d’apesanteur, de légèreté. Le motard est sur une moto, porté par une seule roue alors qu’elle est sensée rouler sur deux, sans appui des jambes, sans freins, il a juste ses mains en support. Il y a qu’un élément qui le rattache à la moto. Je trouve ça magnifique.

JF : Quel est ta figure préférée en cross bitume ? 

J.L : Le no-hand, que je n’arrive pas à faire même si j’aimerai beaucoup. C’est une figure sans les mains, où il faut se tenir en « i ». Le but est de rester stable dans ta vitesse, tu as vraiment un lâché. Il y a toujours une gestuel propre à soi, même d’un pays à l’autre.

JF : Est-ce qu’il y a des compétitions à l’international ?

J.L : Non, pas vraiment. Il y a une compétition qui vient d’être créée aux États-Unis à New York, au niveau d’un square. C’est un énorme carrefour où les Américains ont l’habitude de rider. Cette année, ils ont fait venir un Français aux États-Unis pour participer à cette toute nouvelle compétition de wheeling.

JF : Est-ce que le cross bitume est un milieu féminin ?

J.L : Non, les femmes sont assez rare. Lorsque j’ai commencé, on était deux. Maintenant, lorsque j’y retourne, ça commence de plus en plus à s’ouvrir et c’est cool. Cela reste encore timide mais ça se fait.

JF : Tu pratiques principalement dans le 95 ?

J.L : Non, pas forcément. Au tout début, la moto c’était en forêt donc proche de chez moi. Mais après, l’avantage du cross bitume, c’est que tu peux voyager partout en France, tu trouveras toujours quelqu’un sur une ligne. Je faisais mes voyages seule, j’allais sur les lignes seule. J’ai fait toutes les lignes les plus connues.

JF : Que fais-tu lorsque tu ne joues pas et que tu ne bike pas ?

J.L : J’aime être avec mes amis, boire des verres, on est très fêtards dans ma bande de potes.

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Julie Ledru @ Libération
JF : Combien de temps a duré le tournage ?

J.L : Il me semble qu’il a duré 29 jours. J’étais sur place deux mois et deux semaines. Il y a eu un arrêt de tournage de deux semaines car je me suis blessée au tout début. Je me suis tordue la cheville.

JF : Est-ce que tu avais des appréhensions au niveau du tournage ?

J.L : Oui forcément. Après, comme j’ai tendance à dire, Lola m’a bien accopagnée dès lors de la première rencontre à quand je suis arrivée sur le tournage. Elle m’a pris comme son nourrisson et m’a déposé délicatement sur le tournage. Je n’ai rien senti. Elle m’a préparée. Notre relation était claire, elle a évolué avec l’écriture, avec le film donc il y a quelque chose de très transparent entre nous. Il y a une grande confiance l’une en l’autre.

JF : Est ce que n’était pas trop difficile d’être l’une des seules filles sur le tournage ?

J.L : Non, j’ai l’habitude. Je m’entoure souvent d’hommes donc non, je n’ai pas ressenti de problème vis-à-vis de ça.

JF : Comment as-tu vécu le fait d’avoir à improviser la plupart des scènes ? Ce n’était pas un exercice compliqué ?

J.L : Le plus compliqué aurait été de retenir les scènes. À l’école, j’étais très mauvaise, je ne retenais rien du tout. Là, on lisait le scénario, donc ont fait l’histoire en tête, les enjeux et il fallait juste le vivre au présent. On pouvait tourner, argumenter, enrichir.

JF : Quelle est la scène qui a été la plus difficile à tourner ?

J. L : Il n’y a pas eu de scène plus compliquée à tourner. C’est plus que le corps me disait « Stop, j’en peux plus ». C’était souvent le soir, à 2h du matin, où on me disait « Fin de tournage dans une heure » et puis finalement deux heures après on me disait « Fin de tournage à 7h du matin, on est désolé ». Tu peux juste te dire que tu n’arriveras au bout de ta nuit. Mon personnage n’a jamais froid. On le voit souvent t-shirt, brassière et short ou caleçon, et donc pleine nuit, c’était un peu compliqué. Tout ça, mentalement, c’était un peu dur.

J.F : Au contraire, la scène que tu as préféré tourner ? 

J.L : Tout ce qui se passait en moto, c’était incroyable. Pas parce que j’étais sur moto, mais parce que ça me changeait d’être à pied et d’avoir le chef opérateur en face de moi. Là, c’était plus technique, je pouvais jouer avec la caméra. Des fois, je pouvais être très proche du véhicule qui transportait la caméra. J’ai adoré ça.

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Julie Ledru @ France Info
J.F : As-tu eu du mal à t’immiscer dans la peau du personnage ?

J.L : Non, je n’ai pas de mal car le personnage a été un peu façonné à mon image, du moins de ce que j’étais avant. Je connaissais un peu son parcours. Julia, je la connaissait pas directement, mais j’entrevoyais qui elle était. Ce qui était plus compliqué était d’assumer la colère qu’elle avait et de devoir la jouer constamment.

JF : Qu’est ce qui fait que tu lui ressemble et au contraire, qu’est ce qui fait que tu te différenciez totalement d’elle ?

Je lui ressemble car comme je le disais, c’était plutôt une ancienne Julie. J’ai beaucoup été nourrie par la colère, la violence. La moto me servait d’exutoire. Après, je ne lui ressemble pas car c’est une grande voleuse, et je n’en suis pas une.

JF : Qu’est ce qui fait que ce personnage est féministe ?

J.L : Féministe, je ne dirais pas ça. Je dirais qui défend l’entre-deux. Je ne pense pas qu’elle défende la femme et son genre, je ne pense pas qu’elle défende l’homme et son genre mais qu’elle vient mettre quelque chose en plein milieu. Elle propose ce qu’elle est, et j’espère que ça parlera. Des fois, on m’en parle et j’adore car on vit aujourd’hui dans un monde complètement ouvert ou qui essaye de s’ouvrir.

C’est parfois difficile pour la femme comme pour l’homme. Pour la femme, par exemple d’assumer ses poils car on est dans un monde où on a plus forcément envie de se raser, prendre le temps de le faire et ça, Julia, ça ne la dérange pas. Le sans soutif, le fait aussi qu’on voit les tétons, on s’en moque enfaite ! Ce n’est pas un signe aguicheur. Au contraire, par rapport à l’homme, si tu as envie d’être féminin et de ne pas du tout être dans le foot, tu as le droit. Si tu préfère faire de la comédie et de la danse, tu peux. C’est vraiment de laisser un libre choix.

« Être, et assumer ce qu’on veut être. »

JF : Qu’est ce que tu as pensé la première fois que tu as vu le film ?

J.L : C’était dur, je n’ai pas regardé le film, je me suis regardé moi. J’ai passé ma séance à me dire tout ce que j’aurai pu faire de mieux. Ou à me dire « Ah tiens cette scène a été supprimé, pourquoi celle-ci n’y est pas ? » On analyse beaucoup.

JF : Sans dévoiler ce qui se passe, qu’est-ce que tu as pensé de la fin du film ?

J.L : La fin est incroyable. Elle laisse pleins de possibilité au spectateur dans son imaginaire de poursuivre ou pas, de se lier ou pas. Il y a pleins de dimensions, de croire ou pas ce qu’on voit.

JF : Qu’espère-tu que le film va provoquer chez le spectateur ?

J.L : S’intéresser au cross bitume, ne pas se dire que c’est un sport illégal, et donc que c’est forcément des personnes mauvaises qui le pratique. C’est une passion avant tout, c’est une façon de vivre pour certains. Et comprendre de part tout ce qu’on peut voir dans les rasso la beauté de ce sport.

J.F : Que peux-on te souhaiter pour la suite ? 

J.L : Pleins de beaux projets !

Merci pour cet interview, on espère revoir rapidement Julie Ledru à l’écran, et on en doute pas une seule seconde ! Rodéo, en salle aujourd’hui.