Critique « Spirou et Fantasio » d’Alexandre Coffre : le Spirou d’aujourd’hui

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Spirou a été une immense star de la bande-dessinée et un simple calot rouge suffit à évoquer ce groom combattant l’infâme Zorglub aux côtés de Fantasio, journaliste ridicule et soupe au lait, qui marquera aussi les débuts de Gaston Lagaffe et de Spip, son célèbre écureuil. Si célèbre qu’il a même eu un journal jeunesse à son nom, où sont parus Boule et Bill, les Schtroumpfs et Gaston Lagaffe, que l’on a déjà croisés au cinéma ces dernières années (ou que l’on croisera pour le dernier). Alors pourquoi Spirou et Fantasio ?

Il faut réfléchir à un point. Il s’agit d’adapter une bande dessinée jeunesse. Or la jeunesse des amateurs est déjà passée de quelques décennies, le personnage étant peu connu aujourd’hui. La question est donc : comment faire aimer aux jeunes actuels le rêve des jeunes des années 1960 ?

Une adaptation formelle réussie

Alexandre Coffre a tenté avec Spirou et Fantasio un travail d’adaptation plutôt convaincant dans son choix des décors et des acteurs. Ces derniers sont particulièrement bien choisis. Même si Clavier ne joue pas un Champignac extrêmement convaincant, quel plaisir de le voir jouer autre chose qu’un vieux bourgeois raciste ! Le rôle de Zorglub va comme un gant à Ramzy qui joue très bien les génies du mal. Spirou est assez transparent, car joué par  un acteur qui n’a pas l’aspect d’aventurier requis. Mais on peut souligner la performance d’Alex Lutz, qui de par son habileté à jouer les dandys hautains et ridicules fait un Fantasio admirable !

Le film est joli dans son ensemble, avec des décors très sympathiques. On respecte les domaines des personnages, dont la présence est logique dans chacun des lieux : le méchant dans son repère, Spirou dans un hôtel… Le film nous propose l’aventure, avec énormément de paysages différents. On pourrait les juger trop clichés. Mais après tout,dans les bandes-dessinées, dès que l’on voit un désert, n’y a-t-il pas une oasis dans les prochaines pages ? De plus, on retrouve le plaisir de ces clichés. Zorglub est présenté comme un véritable savant fou, avec tout ce qui le caractérise. Et dans cela, il y a le repère high-tech caché. Et celui-ci est superbe : entrée spectaculaire, design industriel élégant et dur à la fois, cachant des pièges, nec plus ultra bâti sur un volcan en activité ! De quoi impressionner les enfants et satisfaire les parents.

De plus, le décor est choisi de manière à « compresser » l’univers de Spirou afin de réunir de manière plausible (enfin d’essayer) au même endroit, afin de recréer la BD en un minimum de temps, ce qui ne fonctionne pas tout à fait correctement. En effet, les rencontres paraissent artificielles, surtout pour le compte de Champignac. Celui-ci habite dans une chambre d’hôtel, sans raison apparente autre que sa richesse. Spirou ne devrait même pas se trouver là, car c’est un voleur qui ne connait pas l’hôtel. A la limite, seul Fantasio a une véritable raison d’être là car il cherche quelqu’un. On remet donc la logique des rencontres au hasard. Tâche difficile et qui est ici plutôt ratée, car elle laisse l’impression que l’on a fait rentrer tous les personnages dans une petite boîte à coups de talon. Ce qui est dommage car la rencontre des personnages est un élément clé du film.

Le choix d’une rencontre initiale

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Le film ne part pas du principe que les personnages se connaissent déjà. On ne propose pas un nouvel épisode de Spirou et Fantasio, mais bien une espèce de reboot. Cela est flagrant dans le sens où l’on passe une bonne partie du film à voir les personnages se rencontrer, quitte à faire apparaître de façon totalement artificielle les personnages. Cependant, il s’agit d’un fil rouge plutôt bien exploité, comme lorsque Spirou se retrouve dans le même ascenseur que Zorglub, ce qui entraine une tension qui n’aurait jamais pu exister si on les avait déclarés dès le départ ennemis jurés et bien connus l’un de l’autre. Il s’agit donc d’une idée parfaitement assumée. Mais la formule « comme par hasard ! » risque de vous venir souvent à l’esprit, tant cela est flagrant.

Les plus anciens fans seront déçus en voyant que l’on fait de leur héros un voleur. Spirou au départ était certes un farceur, mais pas un voleur. Il est facile de comprendre que cela en fasse un personnage plus intéressant pour les jeunes d’aujourd’hui. On peut également penser que comme la génération actuelle ne connait pas Spirou, on peut en faire n’importe quoi.

Et on ne pourra que saluer le réalisateur de ne pas avoir cédé à la tentation. En effet, en dépit de changements évidents, on conserve l’aspect de Spirou avec le fameux sac à dos hélicoptère, le duo qui fonctionne toujours aussi bien entre l’intrépide et l’intellectuel un peu veule, et le méchant reste en grande partie un vrai méchant. Il a un repère, tue sans vergogne, veut contrôler le monde. Un grand classique, si classique qu’il en devient reposant pour l’esprit et justifie l’action à la manière d’un MacGuffin : il veut contrôler le monde ! Mais pourquoi ? On ne sait pas mais cela donne une histoire pleine d’action et tant pis pour le reste. On notera aussi avec l’action le principe de voyage autour du monde et d’action, avec une enquête. Et tout cela constitue le fond de la bande-dessinée, qui n’est donc pas trahie sur ce point. En revanche, sans parler de trahison, d’autres surprises et pas forcément de bonnes, attendent le spectateur adulte.

Un humour pas toujours très fin

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L’humour du film est malheureusement celui des comédies avec Kev Adams et autres Kad Merad, qui rappellent l’humour des films américains des vingt dernières années, avec un personnage qui fait quelque chose d’impressionnant  pour finir par se ridiculiser devant tout le monde. Quelque chose dont on a largement eu le temps de se lasser. Et qui va même démolir ce qui devait rester classique, car fonctionnant particulièrement bien, qui n’avait pas besoin de ridicule, au contraire. Le meilleur exemple est celui de Zorglub, joué par Ramzy. Autant le nouveau statut de voleur de Spirou n’est pas très dérangeant, mais cela l’est . En effet, on réussit à poser un vrai méchant, pourquoi le démolir ainsi ? Surtout que Ramzy arrive bien à jouer un personnage mauvais et intelligent. On n’a pas besoin de rendre drôle ce personnage. Mais nous sommes dans une ère où rien ne doit être sérieux, où tout ne doit être que comédie et dérision. Ce personnage prouve à lui tout seul que l’on a besoin de personnages entièrement sombres et fous dans une fiction et que cela est bien dommage de le rendre ridicule.

On s’était déjà aperçu de ça dans Obélix et Astérix au Service de la Reine : rendre un personnage sérieux ridicule ne le rend pas drôle, juste ridicule et diminue son rôle inutilement. On peut également prendre appui sur l’exemple de ce film pour montrer que l’on a déjà essayé de faire un film qui remet en question l’amitié immuable entre deux personnages si connus que l’on n’imagine pas les voir séparés. C’est une bonne idée au départ, mais on se doute tellement de la fin, avec ce « je t’aime moi non plus » si redondant dans l’histoire du cinéma que tout doute s’évapore à l’instant même où le problème se pose. Car justement : on sait dès ce moment que le problème va être résolu. Ce qui est vraiment dommage

De même, le duo de tueurs à gages est lourd, tout comme le running-gag du taser. Ce qui, une fois que vous avez plus de dix ans, est lassant. Mais tout comme les bonnes vieilles blagues sur les excréments (bien sûr incluses dans le film et que vous découvrirez par vous-même) ; cela fait rire les enfants qui n’ont pas encore eu le temps de voir assez de plaisanteries de ce genre pour ne plus en rire.

Oui, Spirou et Fantasio peut conquérir un public jeune, car tout est mis en œuvre dans sa forme pour y arriver, au risque de déplaire aux fans les plus anciens. Il s’agit d’un film familial qui oscille sans cesse entre l’ancien et le nouveau, qui avec sa cohorte d’acteurs populaires, fera passer un bon dimanche après midi aux familles, avec un humour simple et quelques bonnes idées. En revanche, si vous en avez assez du type d’humour anglo-saxon, passez votre chemin car celui-ci est omniprésent dans le film. Et si vous l’aimez, allez-y en espérant déjà une suite, fortement annoncée par le film.

Bande-annonce de Spirou et Fantasio