Critique Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase

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Les Délices de Tokyo, présenté au dernier festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, est le nouveau film de Naomi Kawase, réalisatrice de Still The Water qui avait lui aussi été présenté à Cannes l’an passé. Adaptation du livre An, roman écrit par Durian Sukegawa, le film se fait l’écho d’une rencontre improbable entre une vieille femme étrange et marginalisée, passée maitre dans la confection de dorayakis, et un homme abandonné et en proie aux doutes, lui aussi vendeur de ces mets délicats.

Des personnages au centre du film

Les Délices de Tokyo

Les Délices de Tokyo est une œuvre subtile et passionnante très représentative du cinéma japonais habituel : une esthétique de qualité, un scénario travaillé, des personnages intéressants, et des métaphores à foison. Un long métrage à la technique irréprochable, distillant une texture d’image agréable, porté par un rythme lent et appréciable et partageant une ambiance chaleureuse autour de personnages très humains, réalistes, à l’identification facile.

Véritablement bien mis en scène, le long-métrage de Kawase met en avant une importante série de notions, de thèmes fédérateurs passionnants sur le sens de la vie, le déroulement de l’existence, sur le relationnel entre individus, minorités, générations.La réalisatrice confronte son spectateur face aux rebondissements de l’histoire via ses personnages principaux, et surtout Tokue, vieille femme attachante, drôle et raisonnée, sorte de Yoda de la fabrication des dorayakis, à la fois humble et pleine de sagesse, et ayant énormément à enseigner à qui voudra bien l’écouter. Tout le film repose sur la relation qu’elle va entretenir avec Sentaro, gérant et cuisinier d’une petite boutique de dorayokis. Il est ancien détenu carcéral à la quarantaine bien tassée et frappé de la mélancolie que de n’avoir pas pu devenir barman, comme il le souhaitait.  Mais de cette solitude, il va en tirer une rencontre, qui pourrait changer sa vie.

Les Délices de Tokyo

Les Délices de Tokyo : un film générationnel

Kawase met en avant le relationnel entre les générations. Trois générations sont à l’écran, elles interagissent, et apprennent des autres. Cette représentation du temps qui passe par ce croisement générationnel expose l’évolution intellectuelle, psychologique et caractérielle d’une existence. Les lycéennes sont pleines de vitalité, d’insouciance, sont bruyantes, bavardes, attachantes alors que le cinquantenaire est triste, en plein questionnement idéologique, en plein doute personnel et philosophique, il n’a plus la joie de vivre et cherche un sens à son existence. Vient ensuite la dernière génération, ou plutôt la première, celle des anciens, celle censée avoir perdue le goût de l’existence confrontée à une fin de vie difficile et torturée.

Pourtant, Tokue est un subtil mélange de la contradiction résultant de la comparaison des deux autres générations : un personnage attristé de vieillir, de sentir la vie qui lui glisse entre les doigts, mais également insouciant, respirant une vitalité retrouvée. Tokue a su surpasser la vieillesse, à su s’affranchir des regrets, des rancœurs, des peurs incessantes pour se concentrer sur des activités qu’elle chérie : la cuisine de dorayakis. Le personnage de Tokue est un guide spirituelle, une véritable ancre, une leçon de vie. Il en vient à finalement à voir que repose sur ses frêles et pourtant si puissantes épaules, l’entretien du passage de connaissances, l’apprentissage d’un art de la cuisine, la connaissance des aléas de la vie, la sagesse incarnée, une voix à écouter pour tous les spectres égarés de l’existence tel que le personnage de Sentaro. Ce dernier va s’en inspirer, apprendre d’elle, se rapprocher des gens, de la nature qui à également une place prépondérante dans le long métrage.

Les Délices de Tokyo cherche à réconcilier le spectateur avec la nature, l’être humain et ses propres erreurs.

Avec Les Délices de Tokyo, Kawase veut apprendre à son spectateur, dépassé par les contraintes, à entrer en communion avec son prochain et son environnement. Pour elle, il est important de rester attaché à certains préceptes personnels salvateurs à ne pas délaisser. Les Délices de Tokyo cherche à réconcilier le spectateur avec la nature, l’être humain et ses propres erreurs, son passé torturé, à accepter ses regrets, c’est une ode à la tolérance, une condamnation du rejet, de la marginalisation d’individus victimes d’une vieille erreur de jugement, en l’occurrence toujours actuel dans le film à cause de l’ignorance et de préjugés encrés dans la croyance populaire, la pathologie dont est victime Tokue en est la preuve, le ressentiment d’un beau gâchis, peut être même l’allégorie d’une seconde guerre mondiale qui s’est conclue dans le carnage absolu de la bombe atomique. Les Délices de Tokyo préfère le souvenir, oblige la mémoire, à ne pas omettre les aspects négatifs de notre histoire antérieure sans pour autant rester bloqué dans cette infamie et continuer à aller de l’avant. Tokue prononce une phrase touchante et pleine de sens qui affirme que l’on peut passer à côté de la réussite mais jamais à côté de l’existence.

Les Délices de Tokyo est donc une belle réussite, un film touchant sur le relationnel, le temps qui passe et la condition humaine.

La bande annonce :