Critique « La educación del Rey » de Santiago Esteves : un témoignage sobre et touchant

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La educacion del Rey de Santiago Esteves n’est pas un récit initiatique ordinaire. Ce film argentin nous plonge dans une réalité crue et quotidienne des banlieues de Mendoza, où luit une étincelle d’espoir.

M6B9863 Critique "La educación del Rey" de Santiago Esteves : un témoignage sobre et touchant

 

Une vulnérabilité réprimée

La mère de Reynaldo vient de le châtier de sa maison. Suite au contact avec un des délinquants de Mendoza, qui lui promet un toit sur la tête contre un délit, il se retrouve alors au cœur d’un cambriolage. Mais les choses tournent mal. Il se voit contraint de s’enfuir par les toits avec le magot dans les mains. C’est alors qu’il tombe dans la serre d’un vieux couple, Carlos et Elena, festoyant l’anniversaire de cette dernière. Coup de chance pour Rey : Carlos, au lieu de le dénoncer à la police, décide de convenir d’un pacte avec le jeune garçon. C’est seulement quand il aura réparé la serre cassée qu’il pourra repartir. Un grand attachement naît alors timidement entre les deux hommes et Carlos tentera d’éduquer le jeune délinquant. Il faut savoir que Rey est non seulement le diminutif de Reynaldo, mais veut aussi dire « roi » en espagnol. Santiago Esteves a en effet été fasciné par « les codes d’enseignement (Hagakure, Dhammapada, codes de la chevalerie médiévales) constitués d’une série de leçons visant à former les chefs et les guerriers. » On a donc d’un côté l’enseignant, agent de sécurité retraité depuis peu, et de l’autre un élève, poussé contre son gré dans les méandres d’une société où la jeunesse lutte pour survivre.

Une réelle alchimie va se former entre les deux. Peu de paroles seront prononcées durant ces leçons curieuses : la réparation de la serre, tir au fusil et à l’arme courte, introduction à une société qui ne jure pas que par la violence, … Germán De Silva délivre une performance des plus intenses et charismatiques. Matias Encimas est tout aussi nouveau au jeu d’acteur que Rey est à la délinquance. La transmission d’expérience entre les deux acteurs – et personnages – est donc authentique.

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Une sobriété violente

Le film lui-même a une certaine sobriété qui est bien la réflexion des deux protagonistes.  Une simplicité qui, pourtant, n’est pas un miroir de la société argentine où le bien et le mal n’existent pas. On serait tenté de penser que l’Argentine a deux facettes : une méchante, délinquante, dans l’ombre et une où la solidarité est au rendez-vous. Mais rien n’est si manichéen. Les jeunes sont pauvres depuis trois générations et ne connaissent que des solutions criminelles contre cette pauvreté. La police est corrompue, elle recrute des jeunes facilement influençables pour qu’ils commettent des crimes et elle en récolte les profits ; mais pas la police entière. Une opposition jour / nuit est pourtant présente : la journée est destinée aux leçons de Rey, alors que, la nuit ce dernier se faufile pour retrouver ses anciens démons. Et pourtant, le film est une métaphore d’un espoir qui agit dans l’ombre quand les méfaits agissent dans la lumière. Tant de paradoxes pour traduire l’état d’un pays qui va mal.

A l’image d’un western, les décors de Mendoza sont montagnards, déserts. Le réalisateur voulait un arrière-plan qui rappellerait les anciens récits à l’origine de l’histoire. Mendoza est d’ailleurs une ville prisée par les cinéastes, qui l’utilisent pour son côté touristique de montagnes et de vignobles. Comme souvent, les banlieues restent invisibles. En regardant La educacion del Rey on se demande bien pourquoi : les habitations sont traversées par la nature sauvage, les bâtiments délabrés participent à la déconstruction du mythe touristique, les vieilles maisons apportent de l’authenticité. La toile de fond rappelant un far west urbain est soulignée par la musique composée par Mario Galván – une musique aux rythmes folkloriques argentins orchestrée par une guitare électrique omniprésente.

La Educacion del Rey est supposément un film d’espoir, de rédemption et de reconstruction. Mais peut-on réparer quelque chose d’aussi cassé ? La descente aux enfers, filmée avec des plans calmes et maîtrisés, traduit une certaine conviction. L’éducation du roi sera-t-elle suffisante pour bâtir un nouvel royaume ? On l’espère. Et le réalisateur aussi :

« j’aime penser que la relation entre Carlos et Reynaldo est la première d’une série de rencontres à l’origine de la transformation de Reynaldo en un nouveau type de leader ».

La lueur d’espoir de Rey est ce réalisateur argentin qui n’a pas peur de montrer ce qui fâche en utilisant tous les instruments que le cinéma met à disposition. Les cadres sont bien pensés, les personnages profonds et vrais et la musique, délicieuse. Malgré un scénario solide, on note parfois une déviance vers le « thriller » sensationnel.

 

Bande-annonce – La educación del Rey