Critique de « Jusqu’à la Garde » de Xavier Legrand : horreur conjugale

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On s’est bien fait avoir. Tel est le sentiment qu’il est possible de ressentir après être sorti de la salle. Alors qu’il était légitime de s’attendre à un drame social, Xavier Legrand réussit progressivement à transformer son film en thriller, voire même en film d’horreur. Inventant ainsi une nouvelle sorte de film d’horreur : le film d’horreur social.

L’intrigue ? L’histoire d’un couple de divorcés, les Besson (c’est à se demander si Xavier Legrand n’a pas une dent contre Luc Besson) qui se disputent la garde de leurs enfants. Le problème étant que les enfants refusent de voir leurs pères, un homme violent et qui maltraite sa famille. 

Jusqu’à la garde est un film naturaliste par essence. Filmé caméra à l’épaule, dans une zone rurale comme il y en a tant en France, le premier long-métrage de Xavier Legrand est criant de vérité. Et de talent. Tout d’abord, celui de son réalisateur qui continue sur les bases de son court-métrage Avant que tout se perdre, césarisé en 2014. Il reprend les mêmes personnages et les mêmes acteurs, et transforme son savant jeu du chat et de la souris dans un supermarché, en un rejeton bâtard issu d’un plan à trois entre Kramer contre Kramer, La nuit du chasseur et Shining, référence avouée du cinéaste. Celui-ci fait plusieurs choix osés, à commencer par l’absence quasi-totale de musique à l’exception d’une scène de fête, tournée en plan-séquence. Legrand réussit à intégrer un suspens quasi hitchcockien avant de terminer avec un climax à couper le souffle, le film basculant dans une horreur pure grâce à une scène qui rappellera, encore une fois, Shining (et évidemment les Trois petits cochons). 

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Le talent est aussi celui des acteurs, tous excellents. À commencer par Denis Ménochet, donnant en premier lieu l’impression d’être un nounours incompris, avant de montrer toute la folie du personnage ; une interprétation qui permet de rendre humain ce personnage terrifiant, qui réussit malgré nous à nous émouvoir. Une scène de dispute entre lui et son père fait sous-entendre que lui aussi n’a pas été bien traité par ses parents, ce qui permet de soulever quelques interrogations sur l’avenir des deux enfants du couple. Quant à Léa Drucker, celle-ci est absolument épatante et impressionnante de justesse en femme battue qui, bien que terrifiée, réussit à tenir tête à son (ex)mari. 

Basculant progressivement dans la peur, Jusqu’à la Garde est un film qui plonge le spectateur dans un lent cauchemar qui provoque chez le public, l’horreur, la vraie. D’abord très nuancée, car bien que l’on se méfie du père, il y a toujours un doute sur le comportement de la mère, celle-ci n’obéissant pas aux instructions de la juge. La tension monte progressivement grâce aux excès de colère du père, de plus en plus violent ; un père qui reste persuadé d’avoir changé. Le film de Xavier Legrand a le mérite de ne pas expliquer à outrance le passé des personnages, évitant ainsi la psychanalyse de ses personnages. Laissant énormément de zones d’ombres et de hors-champs. Ce qui amène à un des points problématiques du film. En effet, la sous-intrigue du couple de la fille Besson, est clairement élucidée et manque de précisions. Autre défaut au film, c’est qu’en jouant la carte d’une peur montant progressivement, Legrand prend le risque de faire entrer difficilement son spectateur dans son œuvre. De plus, le film reste beaucoup trop dépendant de son double climax (la scène de la fête d’anniversaire, et la scène finale), le cinéaste semblant tout miser dessus. 

 

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Malgré tout, le film reste une impressionnante réussite, qui mérite de loin son lion d’argent à Venise. Offrant une expérience assez rare au cinéma (faire peur avec un film social à la Dardenne), Xavier Legrand s’en sort comme un très grand. Et nous prouve, pour ceux à qui ont à besoin de le prouver, que peu importe jusqu’où peut aller l’imagination, elle ne pourra jamais être aussi effrayante que la réalité. 

Bande-annonce – Jusqu’à la garde