Critique comparative « Les Proies »: D.Siegel (1971) et S.Coppola (2017)

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Cette année, la réalisatrice américaine Sofia Coppola a choisi de porter à l’écran le roman de Tomas Cullinan, Les Proies, qui relate l’histoire d’un soldat nordiste blessé et recueilli dans un pensionnat pour jeunes filles, dans le fin fond de la Virginie, lors de la guerre de Sécession. Une première adaptation avait déjà été réalisée en 1971 par Don Siegel, avec Clint Eastwood dans le rôle du soldat estropié.
Justfocus vous propose donc de revenir à la fois sur le dernier long-métrage de Sofia Coppola mais aussi sur la version de 1971 de Don Siegel.

Des choix techniques révélateurs d’intentions artistiques

Sofia Coppola affectionne les films d’époque, comme en atteste Marie Antoinette (2006). Dans son film Les Proies, elle accorde une grande importance à la crédibilité historique et à l’immersion du spectateur. C’est dans cette perspective qu’elle décide de tourner en 35mm, afin d’obtenir une image très douce et d’apporter de manière générale un caractère ancien sans tomber toutefois dans la désuétude. Avec le 1,66, Coppola fait également le choix d’un format qui n’est pratiquement plus utilisé dans le cinéma actuel, mais c’est pour elle une manière de traduire la sensation d’enfermement de la maisonnée. Sur certains plans, on peut observer le travail des flous en arrière-plan qui rappelle le rendu particulier (courbure de champs et vignettage) des objectifs Petzval développés en 1840. Par ses choix techniques rétro, Coppola offre un visuel atypique mais cohérent avec le sujet de son film.

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À l’inverse, Don Siegel use d’éléments formels caractéristiques de son époque. On retrouve dans sa version du film de nombreux effets de zoom propres au cinéma des années 70. Il fait appel également au point de vue subjectif et aux voix-off pour faire entendre les pensées de ses personnages, procédés qui sont désormais passés de mode. Les Proies de Siegel est donc un pur produit cinématographique des années 70. Il s’agit plus pour le réalisateur de retranscrire les problématiques de son époque dans un cadre temporel passé, plutôt que de dresser un tableau historique soigné.

Du conte au film d’horreur

La dégringolade du général dans les escaliers de la maison symbolise le basculement d’une situation confortable vers une situation infernale. Ce qui semblait alors parti pour être un conte heureux se transforme en une situation horrifique.

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En termes de mise en scène, c’est avec Coppola que Les Proies flirte le plus avec le genre du film d’horreur. La réalisatrice maîtrise à la perfection ces apparitions soudaines qui ont le don de faire sursauter le spectateur. Il faut en revanche reconnaître que l’évolution psychologique des personnages, l’apparition progressive de leurs réelles intentions, les rivalités et l’atmosphère malsaine qui règnent dans le lieu clos sont davantage réussis dans la version de Siegel.

Il est vrai que les deux films n’accordent pas la même importance aux différents personnages et ne se concentrent pas sur les mêmes objectifs. Chez Coppola, les femmes sont mises à l’honneur et c’est sur leurs désirs et leurs introspections que la réalisatrice se focalise. Chez Siegel le film aborde des thèmes plus larges, comme l’esclavage et l’inceste. En revanche, les deux films se rejoignent sur le traitement du général Mac Burney érigé en une figure masculine virile et source d’émoi. Colin Farrell transpire de virilité en coupant du bois dans le jardin du pensionnat malgré la douleur de sa jambe endommagée, tandis que Clint Eastwood fait preuve d’une assurance toute masculine avec des dialogues chargés de sous-entendus.

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Le plan final

Les deux films se clôturent avec des plans très significatifs bien qu’ils soient radicalement différents. Pour sa part, Siegel place sa caméra à la fenêtre du premier étage de la maison, comme un personnage supplémentaire qui observerait la scène finale. Ce personnage additionnel peut être interprété comme la présence même du spectateur qui connaît désormais la maison et y est intégré. Il épie les jeunes femmes qui sortent la dépouille et sait pertinemment qu’elles vont revenir car le message est clair: le pensionnat est un lieu sûr, le danger provient de l’extérieur. La mort s’en va au loin, elle est écartée et remise à sa place, en-dehors de l’enceinte du pensionnat.

Pour son dernier plan, S. Coppola opte pour un placement de caméra à l’extérieur du microcosme féminin, devant l’entrée du domaine. Ce plan est d’autant plus marquant qu’il est l’un des seuls à se situer en-dehors du pensionnat. La grande grille en fer forgé qui se dresse entre la caméra et les jeunes femmes situées sur le perron traduit l’enfermement des personnages et cette volonté d’une vie recluse de la société. Pour Coppola, ces femmes sont prisonnières de leur propre choix.

Si Les Proies de S. Coppola est un vrai régal pour les yeux, la version de 1971 de D. Siegel n’a rien à lui envier en termes de scénario. En fonction des sensibilités de chacun il est possible de porter son choix sur l’une ou l’autre version car les deux films diffèrent tant sur le fond que sur la forme. Pour les indécis, c’est bien simple, regardez les deux!