Critique « The Lost City of Z » de James Gray : L’exploration fascinante d’une obsession tragique

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Mit dem Boot geht es auf den riesigen Wasserläufen des Amazonas immer tiefer in ungekanntes Gebiet

Il y a des des réalisateurs inclassables, à mi-chemin entre le cinéma indépendant et hollywoodien, qui parviennent avec une grâce authentique à imposer une esthétique, une poétique, une vision naturelle d’auteur qui ne passe pas par les éclats d’un exercice de style ou d’une imagerie criarde. James Gray est de ceux-là et son film, The Lost City of Z, est à l’image de son auteur complexe, hybride, trouble et fascinant.

 

Un film « illusion » et incertain

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The Lost City of Z est un projet très ancien, aussi incertain que le héros qu’il met en scène, et dont la genèse chaotique fait ironiquement écho aux références de son auteur dont le film favori n’est autre qu’Apocalypse Now. 

« C’est un travail d’amour qui fut difficile à faire. » (James Gray lors de l’avant-première du film à la cinémathèque de Paris)

C’est donc un challenge de taille pour James Gray dont c’est la première véritable adaptation littéraire (même s’il se sera ouvertement inspiré de Dostoievski pour Two Lovers). Le film puise ainsi directement dans le livre de David Grann et nous conte le parcours d’une quête obsessionnelle, celle de Percival Harrison Fawcett (incarné par le toujours aussi excellent Charlie Hunnam), colonel ambitieux et explorateur engagé qui mettra toute son âme à trouver une cité perdue, jamais foulée par les hommes, qu’il croit exister, et qu’il appellera sobrement Z. Conférant l’impression d’être à cheval entre La poursuite du diamant vert et un film de Terrence Malick, le film se situe à de multiples frontières génériques, entre le film d’exploration, de guerre, la tragédie et le drame familial. Il ne cesse ainsi de déjouer les attentes du spectateur qui se retrouve dans une position aussi incertaine que l’objet de la quête de Fawcett. Et c’est bien là une des plus belles réussites du film, celle de ne jamais cesser de ballotter son spectateur qui ne sera jamais quitté par ce sentiment d’incertitude ; une incertitude amère qui se situe au cœur de la filmographie de James Gray (l’incertitude d’avoir fait le bon choix, l’incertitude des intentions d’autrui…) et qui se retrouve dans les plans qui deviennent eux-mêmes incertains. Entre déceptions et illusions, le réalisateur opère un renversement des normes édifiées pour le film d’aventure. Il déconstruit le mythe de l’explorateur victorieux superbement incarné jusqu’ici par Indiana Jones. Référencé avec finesse, The Lost City of Z nous fait évidemment penser aux Aguirre et Fitzccarraldo d’Herzog. Il nous fait aussi penser à Délivrance ou Au coeur des ténèbres de Conrad duquel il se rapproche le plus. Seulement ici, la folie ne naît pas de la quête mais semble déjà préexistante et liée à une société victorienne âpre et austère, aux origines de la souffrance interne de Fawcett, dont le poids de la filiation pèse lourdement et qui, par conséquent, ne reçoit pas les considérations qu’il mérite.

Obsession(s), identité(s), engagement(s)

« Ce qui était intéressant c’est que ce crétin fou avait peut être raison, et qu’il était doté d’un courage incroyable – c’était un intuitif qui avait le sens de l’engagement. » (James Gray lui-même dans Conversations avec James Gray de Jordan Mintzer)

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L’obsession provient donc aussi (et surtout) de ce drame intime de la reconnaissance dont il est victime. Fawcett ne parvient pas à se détacher des frasques passées du père. Conscient de sa valeur et de l’aberration des codes sociétaux, il désire tout de même, dans un profond paradoxe, prendre sa revanche sociale. C’est donc tout naturellement qu’il formera un duo complémentaire avec Costin (méconnaissable Robert Pattinson), un homme, lui, sans filiation. C’est ainsi que James Gray ne perd jamais de vue ses propres obsessions et sa propre éthique. C’est bien l’intime et la complexité de la pensée humaine qui demeurent au cœur des enjeux de ses films. La quête de Z apparaît finalement comme le prétexte de la quête d’une identité conforme à l’être. Idéalisée à l’extrême, cette cité incarne moins l’Eldorado qu’un refuge providentiel pour l’explorateur. C’est donc moins l’objet lui-même que la quête qui semble nourrir l’engagement extrême de Fawcett, qui désertera la maisonnée familiale malgré l’amour sincère qu’il porte à ses proches. Complexe et marqué par de profondes contradictions, à la fois progressiste et rétrograde, c’est encore un superbe personnage dont le portrait est brossé ici, et ce, avec une finesse rare dont seul Gray a le secret. Homme captif des forces de son temps et conditionné par son milieu social, il tentera de trouver son salut dans un ailleurs utopique insaisissable. 

 

Kultur et Civilisation

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Les (superbes) séquences d’ouverture et de fermeture du film mettent en scène un autre acteur majeur du film : la nature, qui bénéficie d’une sublime lumière zénithale et de la photographie du génialissime chef-op Darius Khondji, qui parvient à capter toute la richesse du décor de la forêt amazonienne. L’autre fil directeur du film est la rencontre entre deux cultures, deux civilisations, brillamment synthétisée dans une scène marquée par un téléscopage aussi violent que fascinant, dans laquelle les explorateurs assistent à un opéra en plein milieu de la jungle jungle. Vision surréaliste qui traduit d’une curieuse rencontre, le film n’échappe pas à l’exposition de la problématique de l’ethnocentrisme, encore ancré dans la pensée occidentale du début du XXème siècle. Les autochtones sont vus comme des êtres inférieurs et non pas différents. Leur civilisation ne peut pas, pour les scientifiques de l’époque, avoir précédé celle de l’Occident. C’est ainsi que la surenchère dans la représentation archétypale de cette majorité ethnocentrique rappelle aussi une triste réalité historique qui confère au film une tonalité qui frôle parfois le burlesque, tant la bêtise humaine dégouline et explose à la figure du spectateur.

Protéiforme et servi par une direction artistique irréprochable, The Lost City of Z fait oublier la déception qu’a été The Immigrant et s’impose naturellement comme l’une des plus grandes réussites de son cinéaste. Brossant le portrait captivant de cet explorateur unique en son genre, le film interroge la question de l’identité et de la solitude humaine. Déjouant toutes les conventions, James Gray a réalisé un étonnant film d’aventure intime, réflexif, profondément mélancolique et social. Une expérience humaine à vivre au cinéma. 

https://www.youtube.com/watch?v=k5SfpvuuhtM