Lost River, à la croisée des chemins du tourment et de la quiétude: Critique!

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Connu pour ses divers rôles dans le cinéma indépendant, où il nous a habitué a incarner régulièrement des personnages troublés, dont un certain « Driver », Ryan Gosling nous invite à découvrir avec « Lost River » sa première réalisation, un long-métrage également écrit par ses soins, après plus d’une année à arpenter la ville de Détroit et ses alentours, et y rencontrer ses habitants. 

Synopsis: Dans une ville qui se meurt, Billy, mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas- fonds d’un monde sombre et macabre, pendant que Bones, son fils aîné, découvre une route secrète menant à une ville engloutie. Billy et son fils devront affronter bien des obstacles pour que leur famille s’en sorte.

Le film débute sur Franky, le plus jeune des deux fils. Au milieu de cet enchaînement de décors semblant post-apocalyptiques, il est comme l’innocence, la lueur d’espoir à laquelle s’attachent la mère et « Bones », le fils aîné, à travers son sourire juvénile et ses yeux ébahis. Un paradoxe introduit ainsi le film, misère sociale et émotion familiale se chevauchant l’une sur l’autre, instaurant déjà un sentiment mitigé, entre malaise et sensation chaleureuse. Saisissant!

On aime Ryan Gosling en acteur. Jouira t-il d’une même côte en réalisateur?

Ce qui frappe dans Lost River, c’est la multitude de techniques de réalisation et de cadrage que l’on retrouve dans un seul et même film. C’est comme si plusieurs années de cinema s’étaient données rendez-vous à un carrefour portant le nom de « Lost River », comme si plusieurs grands réalisateurs avaient décidé d’y laisser une petite trace de leur passage, tentant de se frayer un petit chemin à travers l’esprit de Ryan, déjà certainement bien inspiré par l’univers qu’il affectionne particulièrement, celui du cinéma indépendant. C’est simple, Lost River est un bijou de réalisation, où tout est judicieusement pensé et exploité. Certaines scènes du film vous surprendront par le réalisme dont elles font preuve, à tel point que l’on se croirait par moments en plein documentaire, pour finalement revenir ensuite dans la magie du cinema pur et simple, où travellings, panoramas, suivis symétriques et autres couches s’ajouteront à ce tableau, pour en faire un petit chef d’œuvre étonnamment harmonieux et parfaitement équilibré.

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Que dire de la composition sonore?

Regarder Lost River sans son univers musical, ce serait un peu comme admirer un cerisier au mois d’avril, alors que celui-ci aurait oublié de se parer de sa fameuse robe de pétales roses. Un non-sens. Peut être sans que l’on s’en aperçoive, le film est presque intégralement accompagné de musiques plus ou moins variées. Certaines sonorités nous feront penser à un carillon, aux légers contacts créés par de minuscules cylindres creux de métal à l’ouverture d’une porte d’entrée, créant un état de sérénité et de quiétude, tandis que d’autres passages électroniques nous rappelleront qu’il ne s’agit pas d’un conte de fées, mais plutôt d’un « Dark Goonies », comme s’est ainsi exprimé le compositeur du film à la lecture du script.

Le casting de Lost River.

Comment parler de Lost River sans s’exprimer sur ce qui lui donne une signification sociale dramatique, mais surtout lui octroie une âme, la vie donc, par conséquent l’espoir. Car Lost River ne tombe à aucun moment dans le désespoir, et même lorsque l’on ose penser que les personnages arrivent vers la fin du chemin, l’idéal d’un avenir plus radieux est ce qui les anime, ce que parviennent à nous transmettre les acteurs par la justesse d’un jeu soigneusement mis en scène, et très justement mené. Dans cette histoire où chaque personnage a été judicieusement étudié puis créé, les deux protagonistes principaux que sont la mère et le fils aîné, nous font connaître deux acteurs peu connus du grand écran. Pourtant, et comme bien souvent dans le cinema d’auteur, on y découvre deux comédiens, Christina Hendricks et Iain De Caestecker qui se fondent incroyablement bien dans cette athmosphère oppressante, avec une justesse et un naturel étonnants.

Iain De Caestecker

Dans « Lost River », ils vont devoir chacun affronter un démon. On ne parle pas ici du démon intérieur dont il est souvent fait mention dans les études de psychologie, mais de la personnification même de ce que pourraient être des êtres malveillants, deux hommes avec lesquels les oppositions se feront indirectement presque jusqu’à la toute fin. Bully, interprété par Matt Smith, est d’une cruauté sans vergogne, et ne fait aucunement illusion. Pas même la virée sur un pont de Detroit, au beau milieu d’une nuit, où le vent sifflant dans nos oreilles comme si nous étions à la place de « Rat », confortablement assis sur ce siège de velours, le même que celui sur lequel nous sommes finalement « paisiblement » installés au moment où nous regardons cette scène, ne nous fera oublier la folie incarnée par ce personnage imprévisible, et cet instant pour le moins perturbant.

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L’autre démon, qu’affronte cette fois la mère, est tout aussi imprévisible, mais bien plus sournois. Malgré des intentions louches dès le départ, son personnage intrigue tout du long, nous laissant quelque peu perplexes sur sa véritable motivation. Ben Mendelsohn est simplement merveilleux dans ce rôle très insidieux.

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Deux ennemis donc, dont les performances nous laisseront à certains moments sans voix, entre angoisse et stupéfaction, entre dégoût et émerveillement. Glaçant!

Verdict:

Ryan Gosling signe avec Lost River une première réalisation absolument incroyable. Adepte du cinéma indépendant, il est parvenu a créer avec Lost River une histoire remarquablement écrite, interprétée par des acteurs aux performances aussi simples qu’extrêmes par moments et une composition sonore impeccable. Tout ceci nous donne finalement le sentiment d’assister à une représentation à la fois dramatique, musicale et visuellement subjuguante. Définitivement, Ryan Gosling ouvre bien grandes les portes de la réalisation, se permettant même de snober d’autres pourtant plus expérimentés dans le cinéma d’auteur, prenant ainsi une place bien confortable, tel un certain « Bully » sur son siège de velours, non sur le coffre d’une voiture cette fois, mais bien à l’abri du vent, dans une pièce réservée seulement aux meilleurs.