Critique « Anon » de Andrew Niccol (Netflix) : un polar futuriste décevant

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Après Time Out en 2011, Andrew Niccol retourne dans le futur avec Anon, son nouveau polar de science-fiction qui aborde les thèmes de la vie privée et des nouvelles technologies invasives. Malgré une esthétique très intéressante, le film peine à captiver en raison d’un scénario mal exploité.

Une esthétique séduisante qui s’accorde parfaitement avec le propos

Dans un futur où la vie privée n’existe plus, Sal (Clive Owen) voit son métier bien simplifié maintenant qu’il a accès à toutes les données de n’importe qui : tous les souvenirs visuels de chacun sont maintenant enregistrés grâce à l’Oeil. Un système qui fait penser à celui de l’épisode The Entire History of You de la série Black Mirror, en plus poussé puisque Sal peut voir toutes les données privées de n’importe qui en un seul coup d’œil. La vie privée n’existe plus, même dans la mort. L’esthétique du film est ainsi très fortement marquée par ces flux d’informations permanents, qui envahissent l’écran dès lors que l’on entre dans le regard d’un personnage. Ce choix visuel pose par ailleurs la question d’une certaine rentabilisation de la vision, qui ici ne sert plus à contempler mais à analyser. 

anon Critique "Anon" de Andrew Niccol (Netflix) : un polar futuriste décevant

Pendant tout le film, la caméra va ainsi se déplacer entre le regard des personnages, et des plans fixes externes. Ces derniers font d’ailleurs souvent penser à des caméras de surveillance de par leur position : sous un banc, dans le coin d’une pièce… Autant de plongées qui ont tendance à écraser les personnages, et surtout Sal. En ressort ainsi une sensation de mal-être et d’anxiété permanente, symbole de cette société sur-examinée. Dans un tel scénario, c’est cette maîtrise de l’image (simple mais efficace) qui permet au spectateur de ressentir l’oppression et le quasi-totalitarisme d’un tel système. Mais le plus intéressant dans ce va-et-vient reste le parallèle qu’il instaure entre la caméra et la vision humaine : chaque regard devient lui-même cette caméra de surveillance qui scrute les moindres détails. Big Brother is everyone. 

Là où l’image sert le mieux son propos, c’est lorsque Anon, un pirate que Sal soupçonne être à l’origine de plusieurs meurtres, arrive à prendre le contrôle de l’Oeil. Car si cette technologie peut avoir des avantages, elle peut aussi être utilisée pour distordre la réalité, et faire voir des images trafiquées. S’ensuivent les meilleurs moments du film où Sal ne peut plus se fier à ce qu’il voit, et le spectateur non plus. Comment savoir ainsi si la caméra ne joue pas avec notre propre regard ? Mais la scène (peut-être la plus captivante du film) est finalement assez courte, et peut-être aurions-nous aimé que Andrew Niccol joue plus avec l’ambiguïté que ce jeu d’image apporte, voire qu’il développe des thématiques méta-cinématographiques. Car finalement, le cinéma n’est-il pas lui-même une machine qui nous montre bien ce qu’elle veut ? 

Des problématiques passionnantes mais mal exploitées

Le plus gros point faible du film reste son scénario : au bout d’une demi-heure, l’intrigue devient très répétitive, sans aller au bout de ses idées. Alors que toute l’histoire aurait pu aller dans des extrêmes fascinants (avec l’utilisation du piratage de l’Oeil, ou le passé tragique de Sal), elle stagne dans des dialogues sur fond de trame policière qui ne sont guère passionnants. 

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Alors au lieu de s’attarder sur ces quelques longueurs, intéressons-nous plutôt aux très passionnantes problématiques que le film pose (sans réellement les exploiter). L’un des aspects les plus intrigants du film est le rapprochement entre les souvenirs et les dossiers de sauvegarde. En effet, les personnages semblent stocker leurs souvenirs dans une matrice, et les effacer n’est ainsi plus qu’une question d’informatique. Cet aspect dystopique de la mémoire interroge le spectateur sur le contrôle qu’il a de lui-même face à toutes les nouvelles technologies qui évoluent, et prend une résonnance particulière lorsque le terme « fantôme » est prononcé. Le fantôme est tout d’abord celui d’Anon, qui ne veut donner aucune information sur sa vie privée et qui est donc invisible pour celui qui ne recherche que ces informations. Le second est celui du fils de Sal, qui n’est plus qu’un fichier enregistré parmi d’autres et qui peut disparaître à tout moment. Peut-on réellement comprendre quelqu’un seulement par des données rationnelles ? Les souvenirs ne sont-ils alors que des lignes de codes ? Autant de questions auxquelles le film n’apporte malheureusement pas de réponses, et les spectateurs curieux devront se contenter d’une résolution très insignifiante.

Tout comme ces problématiques, les acteurs sont aussi sous-exploités : il semble difficile pour eux de s’épanouir dans ce scénario. Leurs performances collent parfaitement aux personnages, mais sans coup d’éclat particulier. Les temps longs du film ainsi que le peu de repères (il n’y a aucune indication temporelle, et le passé des personnages est vaguement évoqué sans réel approfondissement, ce qui est un comble pour un propos qui prétend abolir la vie privée) empêchent le spectateur de ressentir une réelle empathie pour les personnages principaux, et de se projeter dans ce monde.

Andrew Niccol peine finalement à développer son propos, et le scénario semble freiné par une barrière invisible. Alors que le spectateur habitué des épisodes de Black Mirror attendra un climax angoissant et fascinant, Anon ne nous offre qu’un dixième de ses possibilités exploitables. Un film qui risque de tomber rapidement dans l’anonymat.

 

Bande Annonce Anon