Critique « Voyage en République de Crabe », attention au logre !

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Tarmasz, illustratrice, se lance avec cette première œuvre dans la bande dessinée par ce guide publié chez Delcourt. Elle nous embarque dans une odyssée exotique vers la République de Crabe…

Une course impossible

Maya est une coursière un peu particulière. Elle livre en main propre des colis dans le monde entier en une semaine maximum, même dans les coins les plus reculés. Cette aventurière moderne raconte ici une mission impossible : livrer un colis dans un pays fermé au monde extérieur. Au départ, Maya est une voyageuse enthousiaste profitant du dépaysement que lui procure ce pays inconnu puis elle ressent une frustration de ne pas accomplir sa mission assez vite.

Voyage dans l’imaginaire

Tarmasz invente une République imaginaire où l’accès est très restreint – un seul touriste à la fois après des contrôles très exigeants à la frontière. Elle invente des animaux comme le logre, bête de somme et moyen de transport ressemblant au bouc. Plus qu’un récit d’aventure, l’auteur opte pour un récit de voyage entrecoupé de pages de croquis annotés comme un guide de voyage. C’est une belle occasion de créer tout un monde – une carte de la République, des règles d’entrée, des moyens de transport farfelus, une architecture naïve, des costumes unisexes à la fibre d’oignon… Tarmasz invente même des légendes antiques. Cela hache parfois un peu trop le récit. Maya rédige un guide assez amateur et donc amusant car elle a de nombreux oublis – le nom de certaines plantes. Ce carnet est aussi un moyen de transmettre un vécu – les pages sur les moustiques.

Une coursière aventurière

Un dessin intrigant

Tarmasz choisit de limiter sa gamme à trois couleurs – noir, gris et jaune. Le dessin ne vise pas le réalisme mais choisit des formes simplifiées. Les visages sont parfois un simple cercle. La dessinatrice ne respecte volontairement pas les règles de la perspective ou de la morphologie – des corps déformé avec de très grandes jambes, des maisons avec des outils disproportionnés. Ces choix renforcent la dérive vers un monde imaginaire.

Elle fait également des choix graphiques originaux– le voyage jusqu’à la République de Crabe est présentée en une page avec l’héroïne au centre et les transports autour. Les accents des habitants sont montrés par un trait continu sur les lettres dans les bulles. L’auteur transforme son dessin avec le délire de Maya par la fièvre. Les corps et le paysages forment des vagues comme les pics de fièvre. Les décors sont aussi surprenants avec une multiplication de petites formespour les villes comme dans un dessin d’enfant.

Un monde onirique et réaliste

Rien n’a de sens dans ce pays.On a une république avec un roi, des brumes permanentes immobiles et des marais mouvants. La République de crabe est un pays mystérieux – invisible de l’extérieur avec ses brumes permanentes, toutes les cartes sont fausses car avec des marais omniprésents, tout bouge.

Tarmasz joue à chaque case sur l’exotisme de ce pays imaginaire et sur la comparaison avec le monde moderne.Ce peuple de crabe est-il arriéré ou moderne ? Ce pays et ses habitants nous paraissent englués dans le conservatisme, la xénophobie et le protectionnisme. Pourtant, la place égalitaire des femmes montre que la narratrice ne considère pas ce peuple comme des barbares. La démocratie directe fait de cette république la Suisse des boues.À la fin du récit on ne sait toujours pas si elle critique au décrit juste ce pays. Tarmasz refuse le spectaculaire mais la fin du livre est assez frustrante.

Voyage dans l'imaginaire

Delcourt nous livre un superbe incunable. La couverture est ornée de dessins dorés qui semblent avoir été rajoutés par un moine copiste. Le bord des pages est aussi doré.

Cette Bd au dessin underground est un surprenant guide de voyage dans le cerveau de cette illustratrice. Un second tome permettrait d’en savoir bien plus cette république mystérieuse. C’est un indispensable dans votre sac quand vous partez dans un pays inconnu.