[Review] Est-ouest, une biographie voyageuse

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Pierre Christin est un scénariste majeur de la BD franco-belge (Valerian, Partie de chasse…) qui a toujours refusé d’écrire sa biographie. Avec Est-Ouest, il nous offre une méthode originale pour raconter sa vie. Ce volume est publié par Dupuis.

Un voyage dans l’espace et le temps

Refusant le nombrilisme, Christin choisit d’écrire un récit mixte à la fois biographie, récit de voyage et BD. Les chapitres sont composés en fonction des lieux de vie de l’auteur.

Se confronter à l’imaginaire de l’Ouest américain

Le récit débute lors du séjour américain de Christin pour son travail universitaire. Il se présente comme un candide qui est surpris par des détails du quotidien –  ses problèmes récurrents avec des voitures louées. Pianiste dans les caves de St Germain, il met en avant son amour du jazz en Californie qu’il préfère au rock psychédélique. Christin est aussi un auteur engagé par sa critique acerbe des Mormons et de la ségrégation. On découvre même qu’il a été un activiste politique en tournant un film pour une association de défense des minorités.

Entre l'Amérique et l'Europe de l'Est

La France avant l’ouest

Entre l’Ouest et l’Est, Christin se pose à Paris mais en partageant la chronologie en deux : son enfance et le retour des États-Unis. Il profite de cette partie pour dénoncer les blocages sociaux dans le système scolaire. Cette France de l’après-guerre est plongée dans les tabous de la Shoah pour sa famille et même dans les familles juives. Paris est bien différente de la ville actuelle avec des bidonvilles sur la « zone » autour des anciennes murailles. Très intéressant, le texte est parfois un peu pédagogique. Dans la partie sur les années 60, la France est agitée par les effets de mai 1968 mais, anticommuniste, Christin est bien plus prudent sur le gauchisme. Admirateur de Goscinny, il commence sa carrière de scénariste chez Pilote.

Découvrir un monde caché, l’Est de l’Europe

Réticent sur les miracles du communiste, Christin décide de profiter de son temps libre pour voyager en Europe de l’Est. L’auteur présente avec justesse l’aspect secret de cette partie de l’Europe. Comme aux États-Unis, il est marqué par la vie quotidienne avec l’échec de la planification. L’Est est vu comme un monde en retard qui ressemble à la France de son enfance mais bien plus marquée par la pollution comme le montre l’impressionnante visite de Tchernobyl. Christin est frappé par les tsiganes hongrois et ces « cowboys » de l’Est mais ne sent pas légitime d’écrire sur Auschwitz.

Les cow-boys du rêve à la réalité

Le dessin réaliste, l’encrage et les couleurs sont faites par Philippe Aymond sans recours à l’ordinateur. Cet aspect artisanal sert le récit intime. Les grandes cases ont peu de bulles mais le récit se fait par un texte au-dessus. On est entre la BD et le récit en image. Ce n’est pas forcément le choix le plus judicieux alors que le travail sur les couleurs est bien plus intéressant. L’enfance à Paris au sortir de la guerre est en noir et blanc comme les films mais des formes apparaissent en couleur – les gitanes, la guerre en Algérie, les notes de musique.

Rafraîchissant moyen de raconter son passé, ce plan géographique est original. Le ton est nostalgique et Est-Ouest est aussi un voyage dans des pays transformés aujourd’hui. Au fil du récit, on croise des auteurs de BD. Ami d’enfance de Christin, Jean-Claude Mézières devient un cow-boy aux États-Unis. La rencontre avec Giraud est présentée comme une illumination. Lors d’un voyage en Pologne, la visite des datchas nourrira Partie de chasse avec Enki Bilal.